Si vous le croisez dans la rue, vous ne saurez sans doute pas dénicher la «chose» qui rend son regard aussi blâmeur et aussi blasé. Pourtant, quand il sourit, ce même regard emprunte un air à la fois ironique et distant tel un sénior qui considère les bêtises de la vie. Lui, c'est Zakaria*, un jeune Tunisien comme il y en a beaucoup dans une société dont la moitié de la population est encore en pleine phase de jeunesse. Issu d'une famille élargie, habitant l'un des quartiers populaires de Tunis, où «il y a plus de cœurs que de pierres», comme dit la chanson, ce jeune évolue à un rythme qui lui est propre et qu'il ne compte ni changer ni accélérer. A 31 ans, Zakaria paraît au moins cinq ans de moins que son âge. Il garde la face et le punch malgré sa maladie. Et ce n'est ni cette toux tenace, ni ce nez qui coule qui l'empêchent de faire des projets dans la vie. C'est probablement ce virus qu'il a dû attraper lors d'un rapport sexuel non protégé qui l'indispose. Le VIH/ Sida colle à la vie de Zakaria comme son ombre. Depuis le jour où ce jeune a été soumis à un bilan sanguin, recommandé par un médecin afin de mieux diagnostiquer une maladie anodine, et dont les résultats ont dévoilé son atteinte par le virus, Zakaria s'est trouvé dans l'obligation de se frayer un chemin à cheval entre l'altruisme consenti et la vie au jour le jour. C'est sans doute sa manière à lui de résister au développement de sa maladie et de continuer à apporter, chaque jour, un peu de lui-même, de sa présence, de son sourire et de sa voix au cocon familial et à son quartier. Force de caractère? Oui, mais il n'y a pas que cela. Ce jeune s'estime chanceux d'avoir une famille qui l'aime et qui l'accepte comme il est, avec ou sans le VIH/ Sida. «La réaction de ma famille était une réaction normale, dans le sens de l'acceptation de la réalité. Ma famille m'aime comme je suis. D'ailleurs, c'est bien ma mère qui me donne mon traitement», indique-t-il, souriant. De son côté, il prend toutes ses précautions pour éviter à sa famille les éventuels risques de contamination. «J'ai ajouté un marquage à ma brosse à dents de peur qu'un membre de ma famille ne se hasarde à l'utiliser. Si par hasard j'ai une petite blessure aux gencives, le risque de contamination est notable», explique-t-il. Il est vrai que ce jeune vivant avec le VIH/ Sida trouve son réconfort dans son environnement familial. Cependant, ce cadre affectueux et douillet cède aussitôt la place à un contexte social touffu de risques de refus et de discrimination. Une fois dans la rue, le spectre de la marginalisation, des jugements dépréciatifs au nom des mœurs et de la religion rôde autour de Zakaria, lui rappelant qu'il fait partie d'une société où le sida demeure encore— et malgré les actions de sensibilisation, malgré les débats véhiculés à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de lutte contre le sida— un sujet tabou. «Une fois dehors, j'ai toujours peur d'être surpris par quelqu'un de mes connaissances, alors que je sollicite mon traitement auprès de la pharmacie à l'hôpital. J'ai peur de la réaction d'une société encore plus cruelle que mon destin. Aujourd'hui, ma peur est plus intense, notamment dans un contexte encore plus intolérant quant aux Ppvih. Nous sommes considérés, désormais, comme étant des pécheurs et non comme des personnes atteintes d'une maladie», confie notre interlocuteur. Le regard hostile que lance autrui vers les Ppvih, cette difficulté à admettre la faute commise et la maladie qu'on attrappe, entre autres, suite à des rapports sexuels non protégés, ce sont les pires sévices moraux dont souffre un Ppvih; des sévices qui déclenchent chez Zakaria ce stress, voire ce mal-être. Zakaria, comme bon nombre de personnes porteuses du virus, vit mal toutes les réactions négatives, toutes les mesures discriminatoires et toutes les injustices destinées exclusivement aux Ppvih. «On dit que nous bénéficions des meilleures technologies médicales pour le traitement du virus. Aujourd'hui, le traitement le mieux indiqué pour les PPVIH dans le monde se résume en un comprimé par jour. Dans notre pays, nous continuons à ingurgiter trois comprimés par jour. Chaque comprimé présente des effets indésirables qui lui sont spécifiques. Vous pouvez imaginer le cumul de tous ces désagréments», indique-t-il. Et d'ajouter que la résistance du métabolisme quant à la maladie dépend étroitement de l'assiduité du traitement. Or, la disponibilité du traitement n'est pas sans faille. «Il suffit, pour un Ppvih d'un médicament de moins, pour une période d'une ou de deux semaines, pour que le virus reprenne de plus belle et pour que le corps du malade fasse, désormais, de la résistance par rapport au traitement», souligne Zakaria. Notre interlocuteur montre également du doigt une législation stigmatisante aussi bien pour les PPVIH tunisiens que ceux étrangers. Pour ce qui est du premier cas, il évoque la non prise en charge par la CNAM des malades atteints du virus. Par ailleurs, et pour ce qui est des étrangers résidant en Tunisie, la loi ne leur accorde pas la possibilité d'obtenir leurs médicaments auprès de la pharmacie de l'hôpital. «Ce sont généralement des étudiants dont les moyens financiers ne leur permettent pas l'auto-prise en charge médicale. Il est à noter qu'un seul médicament peut coûter jusqu'à 400DT/mois. Le traitement compte généralement trois médicaments», renchérit notre interlocuteur. Face à cette injustice sociale, Zakaria ne baisse pas les bras. Certes, il ne changera pas le monde, mais il tâche de son côté d'apporter aux PPVIH un soutien moral et une aide souvent précieuse. Ce jeune s'active auprès d'une association spécialisée pour accompagner les malades dans leur lutte acharnée pour la survie. Zakaria n'a pas réussi à envisager l'avenir avec la fraîcheur insouciante de la jeunesse. Il n'a pas mené à bien son petit projet de salle de playstation. Il parviendrait encore moins à choisir l'élue de son coeur en dépit du virus qui cohabite avec lui. Mais il a trouvé enfin un motif, «le» motif qui le rend heureux: celui de faire de son mieux pour assurer à un PPVIH son traitement vital. «C'est à mon avis le plus important pour un PPVIH, et pour moi», avoue Zakaria. * Zakaria est un pseudonyme. Il ne change en rien à la douleur et à la sincérité de notre interviewé.