La plupart des personnes pensent que la réalité et le sida font deux. Mais pour bon nombre de Tunisiens, le sida fait intrinsèquement partie de leur vie, de leur être. Chaque Ppvih a dû surmonter le choc de cette réalité et finir par l'accepter tout simplement. Comment transformer sa maladie en un point de force et de courage? Comment affirmer son droit au respect et dénoncer la discrimination? Récits. Patita est une jeune immigrée ivoirienne porteuse du virus du sida. Elle a débarqué en Tunisie en 2010 pour redémarrer sa vie. Le virus vivait en elle sans qu'elle le sache, et ce n'est qu'à l'occasion d'une consultation prénatale qu'elle en a pris conscience. En effet, elle s'est rendue à une clinique pour solliciter une prise en charge médicale. C'est là qu'on lui a fait les prélèvements sanguins pour deux tests anonymes; des analyses qui ont confirmé l'hypothèse. Faute de moyens, Patita a été transférée à l'hôpital la Rabta pour son accouchement. « Au début du diagnostic, la relation avec le cadre médical et paramédical n'était point standard, et ce, à cause de ma maladie. Ce n'est que lorsque le GS++ est intervenu pour remédier à cette discrimination que les choses sont allées mieux. Mais je me souviendrai toujours du regard désapprobateur des patientes alitées au service de maternité et du ton sur lequel elles médisaient de moi. Certes, je ne comprenais pas la langue, mais toutes les mimiques, les gestuelles et autres me mettaient mal à l'aise. Leur intolérance envers ma personne a éclaté au moment où elles ont essayé de m'interdire d'aller aux WC sous prétexte que j'étais une Ppvih ». M.K est un chômeur âgé de 58 ans. Il a passé sa vie en Italie et en France. Là-bas, il a eu des rapports sexuels avec des inconnues; des rapports qu'il certifie protégés. En 1992, il rentre dans son pays natal, fonde une famille et mène paisiblement sa vie. Mais le destin lui a réservé une mauvaise surprise; une maladie que la société tunisienne — et malgré les efforts de démystification — considère comme taboue. M.K s'est rendu compte qu'il est porteur du VIH/ sida en 2008, après un malaise aigu et imprévisible au niveau des jambes que les recettes médicinales ne réussissaient pas à soulager. Mais aussi, et surtout, après l'inquiétante perte de poids qui, au bout d'un mois, a fait chuter son poids de 64 kilos à 47 kilos. « La perte imprévisible de poids était accompagnée par d'autres symptômes, comme le manque d'appétit, les frissons et le grelottement au beau milieu de la période caniculaire. J'ai décidé donc d'aller consulter à l'hôpital Mongi Slim, et là j'ai été interné pendant une bonne dizaine de jours. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, c'est qu'on a vidé une chambre de deux personnes rien que pour moi et qu'on ne me révélait rien concernant mon état de santé. De plus, les médecins me faisaient faire des analyses et des prélèvements sanguins journaliers. Je n'en pouvais vraiment plus. Mes frères et sœurs s'inquiétaient à mon sujet. Jusqu'au jour où j'allais quitter l'hôpital de mon propre gré. A ce moment, le médecin m'a révélé en privé la réalité de ma maladie: j'avais le sida», prononce M.K, fort ému, ne pouvant plus contenir ses sanglots. Comment révéler une vérité qui pourrait choquer sa famille et son entourage? Comment continuer à mener sa vie sans pour autant avoir à donner des explications interminables et embarrassantes sur sa vie intime? Sur ses leurres? Sur ses moments de faiblesse. « J'ai appris à mes frères et sœurs la réalité de ma maladie et c'est eux qui m'ont conseillé de ne rien dire à personne. J'ai profité d'un petit rhume ou d'un léger malaise chez mes filles pour leur faire des tests anonymes sans qu'elles ne se rendent compte de rien. Fort heureusement, ces tests se sont révélés négatifs », indique M. K. Quant à son ex- épouse, la mère de ses filles, M. K n'est parvenu toujours pas à lui révéler sa maladie. Aujourd'hui, M. K suit un traitement approprié qui ne lui laisse aucun effet indésirable. Il mène sa vie normalement et s'engage volontairement dans la sensibilisation sur le VIH/ sida. « Je saisis à chaque fois l'occasion quand je suis dans un café ou dans n'importe quel endroit public pour sympathiser avec les jeunes, les prévenir sur le virus et distribuer même des préservatifs. Pour passer le message sans pour autant susciter le moindre doute sur mon état de santé, je me fais passer pour quelqu'un qui travaille dans le domaine pharmaceutique », avoue-t-il. Pour M. K, résister au sida nécessite volonté et foi. « C'est une maladie comme toute autre maladie. C'est une réalité avec laquelle faut faire, la traiter et veiller à se protéger », conclut-il. Sassou est une jeune femme âgée de 27 ans. Cela fait deux ans qu'elle a le VIH. Pour elle, ce virus ne lui porte pas problème. En revanche, c'est l'esprit discriminatoire qu'elle n'arrive toujours pas à supporter. Comme l'intolérance qui lui a été signifiée par le cadre paramédical de l'hôpital La Rabta. « Cela s'est passé en été. Je voulais m'inscrire sur la liste afin que je puisse, une fois la consultation passée, avoir accès au traitement. Le cadre paramédical a refusé de m'inscrire sous prétexte que les infirmiers étaient en congé. Un mois après, ils m'ont refusé ce droit sans aucune justification. Je ne demande pas de privilège mais seulement d'être traitée comme tout le monde », souligne Sassou. Omar est un jeune âgé de 24 ans. Il n'est pas certain sur la manière dont il a attrapé le virus. Pour lui, plusieurs hypothèses sont probables: rapports sexuels non protégés, transmission par matériel de dentiste ou encore lors d'une opération chirurgicale. Mais la première hypothèse, à laquelle croit l'un de ses amis, lui a permis de découvrir la réalité de sa maladie. En effet, à sa vingtième bougie, un ami proche de Omar lui a suggéré, sous un air moqueur, de se faire faire un test anonyme. Répondant positivement à cette suggestion, Omar découvre alors qu'il est atteint du VIH/ sida. « La première chose qui m'est venue à l'esprit au moment où j'ai appris la nouvelle c'était l'impact d'une telle réalité sur les membres de ma famille. Je ne voulais surtout pas leur faire de la peine. Heureusement, ils ont accepté la chose et réagissent de sorte à ce que cette maladie ne handicape pas ma vie », indique Omar. Omar ainsi que son entourage feignent d'ignorer le virus. Ils réussissent cette approche au quotidien, jusqu'aux moments imprévisibles où la triple thérapie manifeste des effets indésirables. « Des fois, je me porte parfaitement bien. Et des fois, j'endure toutes sortes de malaises à la fois: des hallucinations, des vomissements, une perte d'appétit ainsi que des vertiges. Ces malaises inattendus influent sur ma vie active. En effet, à chaque fois que je m'intègre dans une entreprise, je me trouve dans l'obligation de quitter le poste et de me reposer à la maison. Ce genre de malaises entravent l'insertion professionnelle des sidatiques. Pourtant, nous avons besoin de gagner notre vie », souligne Omar. Le VIH/ sida a métamorphosé la vie de Omar. Loin de parvenir à délester ce jeune à la fleur de l'âge de sa joie de vivre, le virus l'a rendu plus vigilant, plus mûr et plus regardant sur son état de santé. «Avant, je sortais avec plusieurs filles. Actuellement, je choisis ma petite amie et j'accorde un grand intérêt à son esprit compréhensif. Mes rapports sexuels sont impérativement protégés et pour ma propre protection et celle de ma partenaire », précise Omar. Et d'ajouter qu'il ne révèle sa maladie qu'aux personnes qu'il juge dignes de confiance. « Avant, je connaissais beaucoup de personnes mais après ma contamination, j'ai gagné beaucoup d'ami(e)s », renchérit notre interlocuteur. Omar voit, désormais, la vie sous un angle porteur. Pour lui, le Ppvih (personne vivant avec le VIH/ sida) doit assurer une noble mission; celle sans doute d'un militant engagé dans la lutte contre cette pandémie. Aujourd'hui, ce jeune homme est présent dans le tissu associatif, doté d'une triple casquette: celle d'un éducateur thérapeutique, d'un éducateur pair et d'un accompagnateur socio-sanitaire. « Quand j'étais adolescent, je n'ai pas trouvé des adultes pour me conseiller et m'orienter. C'est pourquoi je suis convaincu de l'impératif d'encadrer les jeunes et de les sensibiliser sur la lutte contre le VIH/ sida. Ma tactique consiste à m'intégrer dans des groupes de jeunes, quitte à mentir quant à mon identité, de communiquer avec eux et de transmettre le message», conclut Omar. * Les noms des personnes interviewées ne sont que des pseudonymes. L'essentiel réside dans la réalité et le vécu de chacune d'entre elles.