De notre envoyée spéciale en Inde Narjess TORCHANI Après quelques jours de projections au festival international du film du Kérala, entre ses 11 salles de cinéma, au centre de la capitale, Thiruvananthapuram ou Trivandrum, le visiteur commence à trouver ses repères, à reconnaître des visages. Non loin de la gare centrale, de la station de bus en construction et de l'un des plus anciens Indian coffee house de la ville, se trouve un complexe de quatre salles, dont Anjali, d'une capacité de 1.100 places. Sur le chemin, à même le trottoir, les réunions de partis politiques sont monnaie courante. Les protestations sociales, de féministes ou de travailleurs, font de plus en plus partie du paysage quotidien de la capitale du Kérala, Etat dirigé par un gouvernement communiste, et occupent même les marches des salles de cinéma. A East Fort, en plein centre-ville, en face du parc Ghandi, il y a Sree Padmanabha, une petite salle datant de 1972, à l'entrée de laquelle trônent deux grandes affiches en toiles, l'une de Marlon Brando dans son costume du Parrain et l'autre représentant une scène du film Cinema Paradiso de l'Italien Giuseppe Tornatore, où le petit Salvatore tient dans ses mains un morceau de pellicule qu'il regarde avec admiration. Les projections commencent à partir de 9h00 et se terminent aux alentours de 23h00, dans une ville qui ne veille pas, où il est, pour l'anecdote, quasi-impossible de trouver du café noir. C'est le règne du thé et du café au lait ! Après quelques jours de projections, les festivaliers et les jurys commencent à y voir plus clair dans ce que propose la compétition comme œuvres. Le festival tient à sa dimension internationale en programmant dans différentes sections parallèles des films de toutes les régions du monde. Son logo symbolise un personnage féminin de théâtre d'ombres, un art que l'on qualifie d'ancêtre du cinéma et dont certaines références historiques attribuent l'origine à l'Inde, alors qu'elle est communément attribuée à la Chine, avant qu'il ne se propage dans le monde. La bande-annonce du festival, une animation de 36 secondes, est d'ailleurs basée sur l'idée que chaque membre du personnage du logo vient d'un continent, et aussi sur l'idée que le cinéma est à la base un art d'ombre et de lumière. Ombres et lumières L'ombre qui s'est dissipée sur le contenu de la compétition a permis des découvertes et des déceptions. Les films viennent d'Amérique Latine, d'Afrique et d'Asie. Le premier continent est représenté par le film chilien Ivan's woman (La femme d'Ivan), qui a déjà remporté le prix du meilleur film au festival du Bogota en Colombie et le prix de la critique au festival international des films de femmes d'Ankara, et deux films mexicains. Le premier, My universe in lowercase (Mon univers en minuscule) de Hatuey Viveros est un hommage en toute sensibilité à Mexico, où une jeune femme vient, après plusieurs années, à la recherche de son père, avec comme seuls indices, une photo et le nom d'une rue. A l'arrivée, elle découvre que ce nom de rue existe partout dans la ville et entame la recherche de son passé. Son histoire n'est qu'un prétexte pour filmer Mexico. Elle s'attache aux personnages qu'elle rencontre tout en gardant une certaine distance, comme dans l'œil du réalisateur. Cette jeune femme est sa propre caméra, qui lui permet d'entrer dans les maisons, de parler avec les gens. A travers sa recherche de la rue Juàrez, le réalisateur porte un regard nouveau sur Mexico, en usant de travellings, de plans larges et même de plans d'ensemble. Son entrée dans l'intimité des habitants de la ville se fait en toute délicatesse et tendresse, sans jugements. Dernière journée Le deuxième film rompt totalement avec ce registre en présentant un drame familial assez sombre, et une autre image du pays. Nos vemos, papa de Cecilia Suarez raconte la perte du père et ses effets sur ses enfants, en particulier sa fille qui s'est occupée de lui, et qui entre après sa mort dans une psychose mélancolique. Des flash-back nous emmènent dans ses souvenirs, d'apparence paisibles. C'est en même temps là où se cache la clé de ses troubles actuels. Dans les films africains, il y a le sénégalais Aujourd'hui d'Alain Gomis, dans lequel un jeune père de famille doit être sacrifié comme l'exige un rituel religieux. Sans expliquer pourquoi ni comment il le sera, le film l'accompagne plutôt dans sa dernière journée, où il déambule dans la ville, qu'il regarde comme si c'était pour la première fois. D'un mal personnel, l'histoire s'ouvre petit à petit sur un mal général, et le film s'achève sur des images de manifestations de protestations, où les gens réclament le changement. Les sons, les chants et les cris que l'on trouve dans ce film sont à l'opposé du mutisme par lequel sont caractérisés les deux autres films algériens qui parlent du terrorisme. La grande symbolique du silence et du non-dit est un caractère commun entre Le repenti de Merzak Allouache et Yema de Djamila Sahraoui. Parallèlement, le premier a choisi de suivre un jeune qui revient de la montagne après l'instauration de la «concorde civile en Algérie». Ce n'est pas la diabolisation des uns ou la victimisation des autres qui intéresse le réalisateur. Ce dernier essaye plutôt, à travers une histoire bien ficelée et une image hautement esthétique, de relater la complexité de la situation de ce pays pris au piège, une situation à laquelle la loi de la concorde civile n'apporte aucune solution, bien au contraire. Sur un autre plan, Yema filme une mère dont elle interprète elle-même le rôle. Une mère à l'image de la nature qu'elle habite, à la fois cruelle et fertile. Ses deux fils ont choisi des chemins différents, le premier est policier. Il est tué par les Mujahidins, le camp choisi par son deuxième fils. Le film qui a pourtant été projeté sans sous-titrages a marqué par la portée et la profondeur de ses images qui opposent la vie à la mort, et la beauté à la laideur. Du côté de l'Asie, on trouve Santa Nina des Philippines, réalisé par Emmanuel Quindo Palo et Present tense de Turquie. Ce film de Belmin Soylemez peint à travers quelques personnages le portrait d'une nouvelle génération en désarroi, dans un pays au passé glorieux. Une jeune femme au chômage accepte un travail de diseuse de bonne fortune dans un café. Le fameux fond de café ne lui dit pas grand-chose sur son futur ni celui de ses clients, mais elle trouve un refuge pour y voir clair dans son présent. Dans Present tense, les références à la gloire du passé s'accompagnent d'une interrogation sur l'incertitude du présent et du passé. Le jeu sur la notion du temps est très présent également dans la fiction iranienne. The last step d'Ali Mossafa est l'un des films remarquables de la sélection. C'est un film de montage qui joue sur les souvenirs et leurs effets sur la vie d'un couple, à partir d'un plateau de tournage où tous les personnages se côtoient. Le jeu continue jusqu'à la fin où le réalisateur laisse au spectateur le soin d'imaginer la suite de l'histoire. Le Japon est en lice avec le film A terminal trust qui parle d'euthanasie. Dans une société conservatrice comme celle du Japon, comment une femme médecin peut-elle expliquer ses motifs pour mettre fin aux jours de son patient. L'interminable scène de la fin, où elle est interrogée par le procureur en dit beaucoup plus que le reste du film, mais l'alourdit en même temps par sa longueur. Le pays d'accueil du festival est aussi présent, avec deux films. Filmistan, une comédie assez originale sur les relations entre l'Inde et le Pakistan. Grâce à un rythme soutenu, des personnages touchants et une magnifique bande-son, ce film porte le rêve d'une génération qui espère enterrer les différends du passé, mais le rêve est plus beau que la réalité. Si Filmistan de Nitin Kakkar se place à la frontière, ID, de Kamal K.M, nous emmène à la marge, celle où habite une grande partie des indiens pauvres, dans des bidonvilles où une jeune fille est à la recherche de l'identité d'un travailleur décédé dans sa maison suite à un accident de travail. Le film porte une intéressante exploration dans le docu-fiction, possible grâce notamment aux possibilités qu'offre à la caméra la richesse d'une Inde aux mille visages. L'Asie l'emporte par la diversité de ses compétiteurs, mais l'Afrique et l'Amérique latine n'ont pas encore dit leur dernier mot. Le compte à rebours a déjà commencé !