Les nuits de Kélibia s'égrènent depuis le 26 août au rythme du 27e Festival international du film amateur (Fifak). Le public, toujours aussi nombreux, afflue pour s'enivrer d'images d'ici et d'ailleurs, de 27 pays en tout. Le record étant détenu par l'année 1985 où 70 pays ont présenté leur moisson de films amateurs. Durant la soirée du mercredi, le public a eu droit à une dizaine de films répartis dans les trois compétitions: - La compétition internationale s'est distinguée, une fois n'est pas coutume, par un film tunisien Ouled El Faqr (Le fils de la pauvreté) de Nidhal Ben Hassine, une fiction de 10 minutes coproduite par le club et la maison de la culture de Hammam-Ghzaz. Ce quatrième opus de l'auteur-réalisateur s'ouvre sur une décharge publique où l'on voit un jeune homme fouiner dans les ordures et en sortir différents objets qu'il utilisera pour «construire son monde intime, spirituel et émotionnel». Il déniche, ainsi, un appareil photo, un saxo, un accordéon, un violon, une machine à écrire, un pinceau, etc. Chaque plan est travaillé et composé avec une minutie d'orfèvre. Mais rien n'est statique, tous les objets se mettent en mouvement, dansent — on dirait — le violon, la machine à écrire, le saxo, pour fêter l'art, ici la peinture. «Je me suis inspiré des arts plastiques pour réaliser ce film», a déclaré le jeune cinéaste amateur en présentant son film. D'ailleurs, un chevalet occupe le centre de la plupart des plans où se matérialisent les moments forts que vit le personnage : une ancre sur laquelle il est montré assis en pleine mer, un poulpe, une jeune fille, visiblement un amour perdu. Les plans sont composés avec minutie, les images sont belles, et ruisselantes de luminosité, l'espace est large et ouvert et la musique est une sorte d'hymne à la joie. Tous ces éléments créent le monde intime du personnage central où dominent la peinture, la musique et la photo, mais aussi le cinéma, une roue de bicyclette perchée sur une barre de fer servira de projecteur et les photos de la jeune fille qu'il aime collées sur la roue, qui, mise en marche, donnera l'illusion du mouvement en 23 images/secondes et suggérera la magie du cinéma. Hymne au 7e art, à la peinture et à la musique. Le fils de la pauvreté, avec quelques bricoles, reflète un monde rêveur, mais aussi naturel, nourri de spiritualité et ouvert sur tous les horizons (la mer suggérant cette ouverture). La fin du film est également ouverte mais laisse transparaître une pointe d'amertume : la caméra est ensevelie et quasi enterrée, le projecteur et l'écran occupent une bonne partie de l'écran, sur l'autre partie, on voit la jeune fille qui, ayant terré la caméra, s'éloigne au loin. Le cinéma résistera-t-il, ou sera-t-il délaissé, semble s'interroger le réalisateur. Un bon moment de cinéma fortement applaudi par le public de jeunes. Rien de transcendant Nap ou La Sieste de Nima Javidi, film iranien, a attiré l'attention. On y découvre un vieillard face à la mort, mais qui semble comme ressuscité grâce à une paire de lunettes. Symbole du savoir et de la sagesse. La première partie qui se déroule devant un ascenseur crée une atmosphère froide et funeste où rode la mort, mais la vie ne reprend ses droits qu'à la livraison des lunettes. Ces deux films, qui ont survolé la troisième journée du Fifak, se valent par l'utilisation de l'image en tant que fondement et langage essentiel du cinéma. Et ce, contrairement à d'autres films où domine le verbiage tel After mother du réalisateur libanais Tanios. L'inévitable trahison du Palestinien Nadim Hamed est un autre opus qui nous dit que tout devient relatif dans la situation où se trouve la Palestine, même la trahison. Qui a trahi Nadim, ayant cru que personne ne l'a vu, quand il a heurté son cousin avec sa voiture ? Son meilleur ami, peut-être ? Nadim vient à en perdre la tranquillité de l'esprit ainsi que tous ses repères. Ce quasi road-moovie, qui se déroule dans les dédales des ruelles de la ville, met en scène intelligemment l'acuité d'une situation où tout passe en second plan même les valeurs morales les plus importantes quand un pays, pratiquement en guerre, souffre d'oppression qui occupe tous les esprits et empoisonne la vie de tous les Palestiniens. La compétition nationale a été marquée, elle, par un seul film Gahtour de Hassib Jridi, cinéaste indépendant. Cette fiction traite de la mendicité et de la pauvreté dont souffrent les mendiants. Leurs témoignages sont éloquents, notamment celui d'une vieille femme si pathétique. «Rien n'a changé, nous sommes aussi pauvres, pourchassés et maltraités qu'avant la révolution». Cet opus se distingue par un moment fort : un mendiant entouré de pigeons à la recherche de quelques graines que le mendiant handicapé leur lance. Enfin, la compétition des films d'école où deux opus ont été projetés : Un séjour à spéculant d'Amine Channoufi et Tunis, je t'aime de Salma Messaâdi. Et c'est ce dernier qui a le plus interpellé le public. Inspiré de Paris, je t'aime et New York, je t'aime, le film reflète quelques scènes de la vie quotidienne de personnages qu'on pourrait rencontrer ça et là dans la capitale : les taxistes qui rendent aux Tunisiens la vie dure, la relation entre les jeunes, les femmes délaissées par leurs maris, les enfants livrés à eux-mêmes et oubliés de tous. Tous ces personnages ont un lien : un jeune qui filme tout avec sa caméra, c'est lui le témoin de ces situations qui révèlent quelques comportements propres à certains Tunisois. Correctement filmé, cet opus se laisse voir, sans plus. Il faut dire qu'il n'y a, jusqu'ici, rien de transcendant dans la compétition des films d'école. Mais attendons voir la suite.