Les événements douloureux survenus à Sidi Bouzid, il y a deux jours, sont symptomatiques. Le président de la République et le président de l'Assemblée constituante y ont été pris à partie par une foule déchaînée. Ils ont été caillassés. Des slogans hostiles avaient ponctué leur allocution. Pourtant, ils étaient venus célébrer le deuxième anniversaire de la révolution tunisienne. Là même où, s'étant immolé par le feu le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi avait déclenché la première étincelle du Printemps arabe. Visiblement, la Troïka gouvernante est dans l'impasse. L'humeur générale est plutôt maussade. Le renchérissement vertigineux des denrées alimentaires se conjugue aux pénuries de produits essentiels. Le chômage massif persiste. Les régions intérieures de la Tunisie profonde suent. Les jeunes grossissent les rangs des inactifs désespérés. L'insécurité règne et les violences multiformes se multiplient. Désenchantés, les Tunisiens s'abîment dans les pliures moroses de l'angoisse du lendemain. Le pouvoir qui fait du surplace finit par s'user. Tout d'abord au niveau de la légitimité. Aux yeux des gens, la Troïka n'a plus d'ascendant. Le regard et l'échelle des valeurs changent à son endroit. D'ailleurs, hier aussi, le président de l'Assemblée constituante a essuyé des «dégage» au siège même de l'Assemblée, tout comme la veille à Sidi Bouzid. Les griefs communs sont nombreux. Autant de doléances largement partagées pour ainsi dire. Cela va de l'improbable élaboration de la Constitution qui traîne, au ressentiment à l'endroit de la classe politique avec ses frictions et querelles au sommet de l'Etat. Le durcissement des conditions de vie en rajoute aux rancœurs épanchées en profondeur. A trop jouer les prolongations, l'autorité provisoire se retrouve soudain dans un cercle vicieux de fin de règne. En politique plus qu'ailleurs, faire du surplace est contreproductif. La Troïka tire ses prérogatives de la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Elle semble avoir focalisé sur le terme pouvoir tout en éludant sa vocation provisoire. Il en résulte une très rapide corrosion. Permanente. En fait, un peu partout, c'est la levée de boucliers. Jusqu'à il y a peu, les Tunisiens paraissaient unis, travaillés par les mêmes pulsions. Les élections de la Constituante, les pouvoirs qui en tirèrent leur légitimité et l'opposition ont induit les divisions. Le nouveau pouvoir semble bien loin d'être humble. Fort d'une majorité relative de suffrages, il s'est avisé d'en imposer à tous les protagonistes, à l'instar d'une majorité littéralement écrasante. Les forces d'opposition, politiques et relevant de la société civile n'y sont pas allées de main morte, elles aussi. En tout état de cause, se retrouver au pouvoir, ici et maintenant, n'est guère une tâche aisée. C'est loin d'être une sinécure aussi. L'opinion est exsangue et volatile. La passion et les emportements propres à toute période postrévolutionnaire sont au rendez-vous. L'ingratitude de la charge aussi. L'actuelle impasse, la Troïka l'a cherchée d'une certaine manière. Depuis le début de l'été et l'affaire de l'extradition de l'ex-Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi, les partis de la Troïka se tirent dans les pattes. La présidence de la République et le gouvernement sont entrés dans une partie de bras de fer. Elle leur en a coûté tous les deux, au bout du compte. Le remaniement ministériel, annoncé dès la mi-juin, est toujours en suspens. Entre-temps, la situation a empiré dans les régions. Les confrontations particulièrement violentes à Sidi Bouzid, Gabès et Siliana en sont témoins. De bien navrants témoins. Vivement l'élaboration de la nouvelle Constitution ainsi que les lois à même d'autoriser, sous peu, de nouvelles élections. Autrement, la deuxième révolution gronde. Et menace le pouvoir de la Troïka proprement dit.