Depuis le 14 et jusqu'au 22 de ce mois, se tient concomitamment au club Tahar-Haddad et au Café Chaouachia, dans la médina de Tunis, la 5e édition du Festival du conte principalement dédié aux enfants, mais auquel les parents piquent leur part de plaisir. En français, le mot ‘‘conte'' pourrait induire légèrement en erreur, car il renvoie systématiquement à cette littérature enfantine avec pour unique support le livre, d'ailleurs dit Conte pour enfants. C'est ici le mot en dialecte tunisien, kh'rafa, dont il s'agit. Enfants, nous aimions, le soir au lit, avoir entre nos mains celle de la maman ou, mieux, de la grand-mère et l'écouter nous débiter une histoire pour nous bercer quelques moments avant de glisser dans notre sommeil. Avec le recul de plusieurs décennies, nous nous rendons compte que ces histoires-là, malgré la bonne intention qui les sous-tendait, portaient malheureusement sur l'ogresse méchante et les vampires redoutables. Autre époque, autre mentalité. Avec le progrès scientifique dans tous les domaines, est née la pédagogie de l'enfant qui, révoltée, s'est élevée contre ces histoires d'ogresses qui, parfois loin de procurer quelque plaisir à l'enfant, sont plutôt susceptibles de le traumatiser, de l'affecter quelque part et même de nuire à son équilibre mental. Du coup, n'est plus habilité à écrire pour l'enfant qui veut. Quelqu'un a dit : «Ne peut écrire le conte pour enfants que le pédagogue ou... l'enfant lui-même ». C'est ainsi donc que le conte pour enfants (le livre) s'est de plus en plus orienté vers les valeurs humaines : l'amour, le sens de l'hospitalité, le respect de l'autre, la philanthropie, le respect de nos différences, le comportement civilisé et jusqu'au respect de... l'environnement. Sauf qu'au moment même – ou presque – où le conte pour enfants s'est imprégné de telles valeurs, a éclaté la révolution de l'image : d'abord la télévision, ensuite l'ordinateur et les jeux en réseaux. Résultat : l'enfant n'écoute plus, ou très peu, mais regarde sans rien, ou très peu, retenir dans sa tête. Si l'on ajoute que la maman des temps modernes est complètement lessivée au bout d'une journée de travail et de travaux ménagers, on réalise qu'elle n'a plus le moindre soupçon d'envie de raconter une belle histoire à son enfant – à supposer qu'elle en ait gardé quelques-unes dans sa tête. En même temps que l'image a supplanté la lecture (conte pour enfants), le travail de la mère a rangé une fois pour toutes aux oubliettes la kh'rafa. C'est à ce point regrettable ?... Oui. Si puéril que paraisse le mot, la kh'rafa est le tout premier genre littéraire indispensable à l'enfant. Car le mieux n'est pas de dicter à son enfant les valeurs humaines sous forme d'ordres coercitifs, mais de les lui insinuer à travers une belle histoire, avec un happy-end subtil où le mal est terrassé par le Bien. C'est pour dire le mérite qu'a eu la directrice du club Tahar-Haddad, Mme Houda Bouriel, d'organiser, pour la 5e fois déjà, le Festival de la kh'rafa. En période de vacances scolaires, inviter les petits écoliers à venir écouter de très belles histoires servies par des professionnels qui sachent débiter, articuler, retenir l'attention des enfants, maintenir le suspense et...jouer les rôles des protagonistes dans un décor qui tente de coller autant que faire se peut au sujet de l'histoire. L'enfant écoute, retient ce qu'il entend et rit, il est heureux. Objectif atteint cinq sur cinq. Mieux : cette 5e édition a prévu un atelier de formation à la narration de la kh'rafa animé par la Palestienne Denise Asâad. Et à l'entrée du Club, une exposition de masques rappelant divers thèmes de vieilles histoires fort connues du public, un travail de l'artiste-marionnettiste Mohieddine Ben Abdallah. C'est en soi un véritable plaisir que ce spectacle de petits enfants suspendus aux lèvres du narrateur, les bras croisés au ventre, tout attentifs et disciplinés. Et l'animateur des séances, M. Maâouia Gharbi, de nous confier que, venus accompagner leurs enfants, les parents, forcément nostalgiques, ne se privent pas en général d'un tel plaisir. Un peu fort, ce festival qui procure le même bonheur aux enfants comme aux adultes.