L'Association des magistrats tunisiens (AMT) se décide d'organiser, aujourd'hui vers 11h00, un mouvement de protestation devant l'Assemblée nationale constituante (ANC) au Bardo, en signe de mécontentement à l'égard d'une situation professionnelle stagnante et de plus en plus inquiétante. Car, aux dires de sa présidente, Mme Kalthoum Kannou, lors d'une conférence de presse tenue, hier matin, au siège de l'AMT à Bab Bnet à Tunis, jamais les faits et les promesses engagés par le ministre de la Justice depuis sa prise de fonction ne lui donnaient satisfaction. Selon ses révélations déclarées par la même occasion, M. Noureddine B'hiri n'a plus pratiquement honoré ses engagements en ce qui concerne la vraie réforme judiciaire, structurelle et législative, l'autonomie du ministère public et la création de la haute instance indépendante en remplacement du Conseil supérieur de la magistrature devenu mort-vivant. A l'en croire, M. B'hiri n'a fait que vouloir mettre la main sur tous les leviers de l'appareil pour se permettre de dépasser ses prérogatives afin de s'immiscer. «Une gestion individuelle de la chose judiciaire, sans aucune concertation ou négociation avec le bureau exécutif de l'association», livre-t-elle. Abondant dans ce sens, Mme Kannou a passé en revue les transgressions et irrégularités subies par le secteur de la magistrature et dont les retombées sont énormes. Il a rappelé la révocation de 82 juges dont les raisons n'ont pas été claires. «Qu'ils aient été sanctionnés ou condamnés d'avoir été corrompus, cela n'empêche d'apporter les justifications de leur inculpation requises pour les poursuivre en justice. Car, en justice, une telle accusation sans suite juridique donne l'impression d'une faille quelque part dans le système», a-t-elle dénoncé. Et les points névralgiques sont multiples pour juger insatisfaisant le rendement de M. B'hiri qui ne manifeste, selon elle, aucune volonté politique de doter le secteur des atouts de son indépendance et de le hisser au niveau des objectifs de la révolution. Il n'a fait que tergiverser pour prolonger les délais. De même, la Constituante a été, elle aussi, taxée de négligence et de retard. L'adoption du projet portant création de la haute instance indépendante de la magistrature traîne encore, sans faire preuve de sérieux et d'engagement envers le corps des magistrats. Autres reproches et désapprobations non de moindre importance déjà constatés dans le texte du projet de la Constitution : la dépendance du ministère public au pouvoir judiciaire, ce qui pourrait porter atteinte au droit des justiciables et détourner, de la sorte, le déroulement des procès et des jugements, comme ce fut le cas dans l'affaire Sami Fehri, a-t-elle expliqué. L'impartialité du juge, déplore-t-elle, demeure, à cet effet, en jeu, sans aucune garantie constitutionnelle d'indépendance et de neutralité. Et Mme Kannou de poursuivre que même les principes généraux relatifs au pouvoir judiciaire dans le projet de la constitution semblent être «confus et désordonnés», ne présentant pas de garanties fondamentales, notamment le référentiel international d'indépendance de la justice. La composition de la haute instance indépendante de la magistrature dont le projet est encore en gestation fait également l'objet d'un profond «déséquilibre» qui ne relève point des normes internationales en vigueur dans ce domaine. Dès lors que, justifie-t-elle, les trois quarts de ses membres seront désignés, cela en fait un pouvoir judiciaire politisé. Toutes ces réprobations avancées par l'AMT auxquelles ont été ajoutées les fuites arrangées du rapport financier de la Cour des comptes relatif à l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) ayant porté préjudice à l'image de ses juges et à leur crédibilité sont autant de motivations qui ont poussé ladite association à agir, aujourd'hui, en signe de protestation. Sa cellule de crise créée à cet effet jouera certainement la force mobilisatrice des magistrats et de différentes composantes de la société civile à travers les régions du pays pour le soutien de la même cause : pas de mainmise sur la justice.