Par Abdelhamid GMATI L'Assemblée nationale constituante a débattu vendredi dernier du chapitre «droits et libertés» de l'avant-projet de la Constitution. Depuis plusieurs semaines, des juristes, des constitutionnalistes, des députés ne cessent de critiquer ce projet qui est fait «sur mesure par Ennahdha et les islamistes». La députée du CPR, membre de la Troïka au pouvoir, Mme Samia Abbou, a estimé que «le texte de la Constitution est complètement miné...il est dangereux et autorise de couper les mains des voleurs et de fouetter celui qui boit un verre de vin». La députée a avancé que la future Constitution doit se baser sur cinq piliers fondamentaux, à savoir «la justice, l'égalité, le travail, le savoir et la tolérance». Et elle avertit que «l'interprétation des textes islamiques pourrait mener à une islamisation rampante de la société». De fait, Mme Abbou ne le dit pas mais cette islamisation a bien commencé, le but à l'ANC est de consacrer dans les textes de la Loi fondamentale ce qui existe sur le terrain. On se rappelle la «complémentarité» de la femme par rapport à l'homme, les appels à inclure la charia comme source des textes législatifs, à légaliser la polygamie et même la pédophilie ; avant-hier, la députée nahdhaouie Najiba Berioul a demandé d'inclure la criminalisation de l'avortement dans le texte de la Constitution. Le mouvement Ennahdha n'a pas caché son intention de changer la société tunisienne dans le sens de lui imposer une nouvelle identité islamique basée sur le wahabisme. On a commencé avec les mosquées transformées en lieux de propagande et de lavage de cerveaux, prenant le relais des prédicateurs extrémistes venus d'ailleurs ou prêchant à travers les chaînes satellitaires d'Arabie Saoudite et du Qatar. On s'est attaqué au fondement même de la société tunisienne : la famille. Les écoles coraniques prolifèrent illégalement, faisant porter à des gamines et des gamins des niqabs et des kamis et les soustrayant à l'influence de leurs parents en leur prodiguant un enseignement islamiste étranger à la Tunisie. On agit dans tous les milieux pour changer les mentalités. Les mosquées ne suffisant pas, on prodigue un enseignement islamiste aux prisonniers et aux forces de police. En même temps, on s'attaque aux fondements mêmes de la République tunisienne en essayant d'éliminer tout l'héritage républicain de Bourguiba et ses collaborateurs. On ignore l'œuvre de tous les réformistes depuis Kheireddine jusqu'au Cheikh Tahar Ben Achour, en passant par Tahar Haddad. De là, les nombreuses campagnes de dénigrement contre le leader Bourguiba. On est allé jusqu'à solliciter la participation de la chaîne qatarie Al Jazira dont l'animateur vedette ne s'est pas privé d'insulter le leader tunisien et d'essayer de salir sa personne. On se propose de «réformer» l'enseignement et on développe l'enseignement zitounien revu et corrigé à la sauce islamiste. Dans l'Etat islamique qu'on veut ériger en Tunisie, il y a le calife et ses acolytes et puis le reste des sujets, dénués de citoyenneté et auxquels on exige de l'obéissance aveugle, sans droit de contestation ni de revendication. De là, la forte animosité contre l'opposition et en particulier contre les syndicats. L'action de destruction s'étend à l'Histoire et à la mémoire du pays. Ainsi les fêtes nationales (Indépendance, proclamation de la République, fête des Martyrs, fête de l'Evacuation, fête de la Femme) sont occultées et minimisées. C'est comme si Ennahdha voulait avoir affaire à des générations spontanées, sans passé ni histoire. On va même jusqu'à détruire, incendier, saccager des monuments religieux (quatorze à ce jour) dont le dernier en date est celui de Sidi Bou Saïd ; des menaces ont été proférées visant d'autres monuments comme celui de Sidi Sahbi à Kairouan et une tentative d'attaque contre le mausolée de Sidi Salem à Hammam-Sousse a été avortée. Malgré les explications vaseuses, les auteurs sont des salafistes ou des membres de ces Ligues de protection de la révolution, des milices qui sèment la terreur depuis des mois à travers le pays s'en prenant à toutes les voix discordantes et à tous ceux qui critiquent et s'opposent au mouvement islamiste. En toute impunité. Mieux : dans le projet de la Constitution, l'article 95 veut légaliser les milices nahdhaouies en les dotant de véritables pouvoirs de police. Le ministre des Affaires religieuses a, lui, déclaré que son ministère travaillait à la création de «structures parallèles aux directions régionales assimilables à des formations de police islamique ». Et l'inénarrable député, chef de la minuscule formation Wafa, Abderraouf Ayadi, estime, lui, «qu'il nous faut le jihad». Contre qui ? Faut-il désespérer ? Il y a péril en la demeure, il ne faut pas s'en cacher. Que des députés, comme Mme Abbou et bien d'autres en sont conscients, est en soi positif. Reste qu'il s'agit de contrecarrer ces pratiques et de s'y opposer.