La généralisation de la scolarisation des filles à la fin des années soixante a permis à des générations entières de jeunes filles de s'instruire, de poursuivre leurs études et d'accéder au marché de l'emploi. Mais la mentalité a la peau dure, et les femmes continuent, jusqu'à aujourd'hui, de souffrir de discrimination sur le marché du travail. L'inégalité entre les hommes et les femmes touche tous les aspects de l'emploi. A diplômes et compétences égaux, le nombre d'hommes qui sont recrutés est plus élevé que celui des femmes. Lorsque ces dernières sont recrutées, peu d'entre elles bénéficient de promotions et accèdent aux postes de décision au sein des entreprises privées. Pis, à expérience égale et compétences égales, elles sont souvent bien moins rémunérées que les hommes et leur avenir professionnel reste tributaire du bon vouloir de l'employeur. Quels sont les facteurs qui sont responsables de cette discrimination vis-à-vis du sexe féminin ? Cette question a été soulevée, mardi dernier, lors du débat qui a été organisé par la Chambre nationale des femmes chefs d'entreprise en collaboration avec le G.I.Z, autour de l'étude réalisée par l'universitaire Souad Triki sur le thème «La réglementation tunisienne et la place de la femme dans le marché de l'emploi en Tunisie». L'universitaire et experte du genre a effectué ses recherches en se référant à plusieurs études, dont celle de la Banque mondiale, qui a montré que le plus faible taux d'activité chez les femmes a été enregistré dans les régions du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena), alors que le taux de chômage de la population féminine est bien plus élevé que la moyenne mondiale. «Alors que le taux moyen d'activité des femmes dans le monde est de 53%, il ne dépasse guère 25% dans les régions du monde arabe. Par ailleurs, le taux de chômage le plus élevé de la population féminine a également été enregistré dans les régions arabes», a mentionné l'universitaire. En Tunisie, une législation ainsi que différentes politiques ont été mises en place pour promouvoir l'emploi des jeunes, l'égalité entre hommes et femmes et protéger la population féminine de discrimition. L'étude, qui s'est penchée sur les différentes règlementations relatives à l'emploi, a montré que ces dernières ne présentent certes aucun aspect discriminatoire mais que leur application est loin d'en refléter, par contre, le contenu. Le Code du travail consacre en effet, le principe de non-discrimination entre l'homme et la femme, en prônant l'égalité dans tous les aspects de l'emploi, l'égalité pour l'accès au marché du travail, les conditions de travail, les salaires, la protection sociale, les possibilités de classement et d'avancement. Ces dispositions figurent également dans le statut de la fonction publique, ainsi que dans les conventions collectives sectorielles. En théorie, du moins. Mais en pratique, l'application présente de nombreuses insuffisances, a relevé Mme Triki. Paradoxalement, l'employeur n'est pas tenu de respecter ces dispositions et est libre de gérer, comme il l'entend, le recrutement et la gestion du personnel, ce qui ouvre la voie à toutes les injustices et aux inégalités. «Il dispose du libre choix des critères d'embauche avec pour seule condition d'informer le bureau de placement. Il peut donc n'embaucher que des hommes. Cette attitude est encouragée par le fait que si le principe de non-discrimination n'est pas respecté, il n'entraîne pas de sanction à caractère dissuasif», a expliqué, à ce propos, l'experte en genre. Population féminine: un taux de chômage élevé Par ailleurs, l'absence de réglementation servant de référence à la définition de critères qui fixent les conditions de promotion et l'accès aux postes fonctionnels et de décision encourage les attitudes discriminatoires vis-à-vis des femmes et réduit leurs chances, à compétences égales, de gravir les échelons et de jouir des mêmes avantages que les hommes. «C'est pourquoi les femmes sont sujettes à des attitudes discriminatoires au niveau de l'accès et du maintien dans le marché du travail», a observé Mme Triki. Toujours selon l'étude, le taux d'activité des femmes en Tunisie, qui est plus faible que celui des hommes, s'élève à 24,9% contre 70,1% pour les hommes, alors que le taux de chômage des femmes est bien plus élevé que celui des hommes et atteint 28,2% contre seulement 15,4% pour les hommes. Ces taux, qui correspondent à la moyenne nationale, ne reflètent pas les disparités géographiques et sont plus ou moins élevés, selon l'origine géographique, l'âge et le niveau d'instruction. Ecart entre les salaires La discrimination vis-à-vis des femmes s'étend également aux salaires. En effet, bien que la Tunisie ait ratifié la convention internationale du travail qui consacre le principe «à travail égal, salaire égal» et qui a permis l'amendement de l'article 135 du Code du travail, contenant des dispositions inégalitaires relatives au salaire de la femme dans le domaine agricole, les femmes continuent à être moins bien payées que les hommes dans le secteur privé. L'existence de critères non clairs qui règlementent la définition de la grille des salaires a creusé le fossé entre les hommes et les femmes dans les entreprises privées. En effet, bien que le nombre de femmes détentrices d'une maîtrise ou d'un master soit plus élevé que celui des hommes (53% contre 42%), elles sont moins bien rémunérées que la gent masculine. Selon les dernières statistiques qui ont été établies sur les écarts entre les salaires des hommes et des femmes en Tunisie, les salaires des hommes supérieurs de 15% aux salaires des femmes. C'est le secteur agricole qui remporte la palme des inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Bien qu'elles travaillent plus dur que les hommes, l'écart de salaire entre la population masculine et féminine dans le monde agricole est considérable et atteint 156 dinars/mois de différence. La discrimination ne s'arrête pas là et s'étend à la vie syndicale et politique. «Les femmes se heurtent au plafond de verre, a relevé, à ce propos, Mme Triki. Elles rencontrent plus de difficultés pour accéder aux professions associées au pouvoir et à la prise de décision et aux postes de responsables des instances politiques, des partis politiques et des syndicats». A la fin du débat, l'universitaire a émis plusieurs recommandations visant à mettre un frein aux attitudes discriminatoires vis-à-vis du sexe féminin. L'une d'elles consisterait notamment à élever le principe de non-discrimination entre les sexes, au rang de principe constitutionnel, en l'introduisant dans la nouvelle Constitution tunisienne.