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Fausses noces
Enquête - Le mariage coutumier ou «orfi» en Tunisie (I)
Publié dans La Presse de Tunisie le 06 - 02 - 2013

Depuis un an, le thème du mariage «orfi» (coutumier) ne cesse de défrayer la chronique. Loin de représenter une pratique exclusivement salafiste, le phénomène, camouflé dans les bas-fonds des mœurs cachées de la bourgeoisie, n'est pas récent en Tunisie. Il serait plutôt une forme de libération des mœurs, sous le couvert du religieux.
Dès le départ, la polémique sur le «zawaj orfi» (mariage coutumier) a été largement alimentée par les propos de la ministre de la Femme et de la Famille. «Le mariage coutumier s'inscrit dans le cadre des libertés personnelles. La femme est libre de choisir la forme d'engagement qui lui convient», a déclaré Sihem Badi en février 2012. Devant une levée de boucliers de la société civile, elle gardera longtemps un silence confus, avant de se rétracter en novembre 2012: «Il faut être intransigeant sur cette question, car c'est toute l'institution familiale qui est menacée et, en premier lieu, les enfants qui naissent dans un cadre illégal». Tant dans son mutisme que dans ses paroles, la ministre de la Femme exprime toute l'ambiguïté de la Troïka au pouvoir devant la montée de phénomènes importés d'autres temps et d'autres contrées...
«Je l'ai connu il y a un an, lors d'une fête de mariage. Riche homme d'affaires, marié et père de famille, il m'a appâtée par de belles promesses : un travail, une maison, des voyages, des cadeaux. Il m'a convaincue que le mariage “orfi" assurait pleinement tous mes droits d'épouse. Je l'ai cru. D'autant plus qu'on ne parle que de zawaj orfi dans les feuilletons égyptiens et des pays du Golfe que j'adore », témoigne Yosra, 27 ans, sur les antennes de Mosaïque FM, le 26 novembre 2011, dans un forum consacré au mariage coutumier.
Le conte de fées de Yosra se transforme en cauchemar dès le moment où elle tombe enceinte. Son «mari» entre dans une colère noire, déchire le contrat qui les unit, la violente et la séquestre pendant une semaine au cours de laquelle dix de ses copains abuseront d'elle...
Des histoires similaires à celles de Yosra sont plutôt fréquentes. Les avocates Bochra Bel Hadj Hamida et Emna Zahrouni, engagées pour la cause des femmes, racontent la tragédie de Tunisiennes mariées dans le secret sous le régime «orfi» et qui, dès l'apparition du fœtus, sont «répudiées»! Cinquante-sept ans après l'abolition de cette pratique par Bourguiba !
Etonnant ! Le mariage coutumier, qui unit en toute discrétion un homme et une femme à l'insu de leurs familles et sans grand bruit, connaît une forme de succès depuis la révolution. Le Code du statut personnel, instauré en Tunisie dès l'année 1956, est pourtant venu pour annuler un mariage très ancien, traditionnel, conclu par «simple accord de volonté», selon la formule de la juriste Sana Ben Achour et auquel manquent la solidité et l'authenticité des contrats civils. Une relation qui rappelle étrangement les codes du mariage chiite dit «zewej el motaa» (mariage de plaisir)...
L'acte de contracter un mariage coutumier serait-il un subterfuge pour contourner un système social qui bride la sexualité ? Une forme à la fois de transgression de la loi et de libération des mœurs, pratiquée toutefois sous le label religieux «halal» pour éviter aux partenaires de subir le poids de la culpabilité ?
Transgressions de la loi
Le phénomène n'est pas récent. Il est par ailleurs loin de représenter une pratique exclusivement salafiste.
Avant la révolution, l'omerta autour du mariage coutumier était totale. On avait peur du pouvoir coercitif de l'Etat, qui punissait de trois mois de prison à un an (voir encadré) les hommes et les femmes engagés dans un mariage «hors la loi», conclu sans la présence de deux témoins de confiance, de deux notaires ou d'un officier de l'Etat civil. Depuis la révolution, les Tunisiens se mettent à transgresser allégrement les lois de la République dans tous les domaines, de l'urbanisme au code de la route, et jusqu'aux mœurs matrimoniales, avec un étonnant sentiment d'impunité.
Ahmed, trente-sept ans, expert en marketing, va jusqu'à réclamer haut et fort l'inscription du droit de la gent masculine à une seconde épouse dans la prochaine Constitution !
Il nous confie être sur le point de tenter l'expérience du mariage coutumier, sa femme souffrant d'une maladie gynécologique chronique. «Pourquoi divorcer d'une femme qui m'a toujours soutenue financièrement et moralement et que, poussé par mes frustrations sexuelles, je ne voudrais pas tromper par le recours au “zinâ" (adultère)?», soutient-il.
La période post-révolutionnaire en Tunisie est une phase marquée par une foule de paradoxes. Plus libre pour l'expression, elle est en même temps imprégnée, comme le fait remarquer le journaliste et analyste politique, spécialiste du salafisme, Slah Eddine Jourchi, par le conservatisme religieux du mouvement islamiste Ennahdha, au pouvoir depuis les élections du 23 octobre 2011, et dont «beaucoup de leaders en exil, au lieu d'influer par leur “tunisianité" sur les sociétés des pays du Golfe où ils ont trouvé refuge, ont plutôt importé chez nous des formes de relations hommes-femmes en rupture avec la modernité et les valeurs du CSP», ajoute S.E Jourchi.
Les mœurs cachées de la bourgeoisie polygame
C'est à mi-voix que les dames de la bourgeoisie tunisoise énumèrent, tel une litanie, sur le ton des lourds secrets de familles, les noms de ces respectables notables, riches propriétaires terriens qui, dans les années 60, ont continué à se marier «orfi», malgré l'abolition de la polygamie, avec leur « paysanne ». Parfum de scandale : le jour des funérailles, la seconde épouse débarque accompagnée d'une ribambelle d'enfants dans une fastueuse demeure pleine à craquer. Elle vient réclamer sa part... d'héritage à la famille officielle!
L'universitaire Sana Ben Achour, l'une des rares juristes à avoir écrit et réfléchi sur le mariage «orfi», le classe parmi les unions «consensuelles» traditionnelles (les âqd nikah), à l'opposé des unions solennelles et officielles nées avec la promulgation du Code du statut personnel en août 1956. Elle note toutefois que, nonobstant le rigorisme de l'école malékite en vigueur dans le Maghreb musulman, «‘'Hials'' (ruses) et subterfuges légaux ont constitué de tout temps un formidable gisement de légalisation-normalisation de l'union libre».
Tout au long de ces cinquante dernières années, une partie des Tunisiens ont continué à pratiquer la polygamie en recourant à l'astuce du mariage «orfi». «Pour se donner bonne conscience, et couvrir d'une pseudo-légitimité symbolique le statut de leur maîtresse», commente Slah Eddine Jourchi.
L'analyste politique décrit le profil de la clientèle attitrée du mariage coutumier. Des hommes aisés se recrutant dans les milieux des affaires notamment (certains très influents), mais aussi des médecins, des avocats, des universitaires voulant passer du bon temps avec une femme beaucoup plus jeune et plus belle que l'épouse officielle qui, généralement, pour préserver ses intérêts matériels, sa position sociale et «l'honneur» de sa famille, sait et se tait. Afin de bénir cette relation clandestine, il était d'usage de faire le déplacement en Egypte ou en Arabie Saoudite pour «recourir soit aux services du “maâthoun charaii" au pays des Pharaons ou à l'institution de la “Hallalya" dans les terres saintes», affirme l'avocate Saïda Garrache.
Maître Emna Zahrouni se souvient comment, deux ans avant la révolution, elle avait reçu dans son bureau une dame tirée à quatre épingles, éplorée, se présentant comme épouse d'un magnat de l'industrie et qui voulait intenter un procès contre lui après avoir découvert ses «tromperies». Alors qu'elle accouchait de sa troisième fille, l'homme venait de s'installer sous le sceau du «orfi» avec une nouvelle maîtresse, sa troisième... femme. «Mais la dame refusait catégoriquement de reconnaître la nullité de son mariage. Dans sa tête, il y avait plein de confusions, entre la loi positive et la charia et entre les fictions moyen-orientales et la réalité tunisienne», souligne Maître Zahrouni.
Glossaire : Zawaj : mariage
Le maathoun charaï : notaire religieux, qui établit le contrat «orfi» en Egypte. Bien qu'étant mal vu socialement, le mariage coutumier est reconnu par les autorités.
La hallalya : une institution religieuse saoudienne qui bénit tout type de mariage sunnite : «orfi» ou «misyar».
Zawaj motaa (mariage de plaisir) : union temporaire d'origine chiite. Elle est conclue moyennant une dot versée à la femme, qui renonce à tous ses droits, ainsi qu'a ceux des enfants nés de ce mariage.
Des chiffres et des leurres
En novembre 2012, Abdelkader Zitouni, le coordinateur de Tunisie Verte, parti écologiste créé en 2004, a fait le tour des plateaux radio et TV pour «vendre» des données peu crédibles sur le mariage coutumier. Ce sujet est-il devenu une sorte de poule aux œufs d'or pour des associations et des partis en mal de reconnaissance publique, qui se sont vus grâce à ce phénomène de société aux relents sensationnalistes propulsés au-devant de la scène médiatique ?
Abdelkader Zitouni répète partout ses histoires de rapts de jeunes filles dans les quartiers populaires qu'on marie de force à des chefs salafistes. Il cite un chiffre : 500 cas de mariages «orfi» ont été enregistrés ces derniers mois dans les universités et dans les cités défavorisées de Tunis. Il assure que ce sont les jeunes Verts de son parti qui ont mené l'enquête, notamment dans les facultés. En réalité, les écologistes tunisiens ont repris des statistiques, qui avaient déjà circulé dans les médias, et dont la source est la mystérieuse association Al Wifak, disparue dans la nature...
Pour Imed Melliti, sociologue et chercheur, ce chiffre n'a aucun fondement, aucune traçabilité : «Il faudrait engager une enquête systémique, adopter un échantillonnage national, prendre toutes ses précautions, couvrir tous les milieux. Et encore...Le chiffre sera probablement approximatif, car les époux “orfi" se déroberont toujours aux sondeurs, à cause de leur délicate situation légale». O.B.
(La suite demain : Un Mai 68 salafiste)


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