Par Abdelhamid GMATI Depuis quelques mois, on parle beaucoup de la légitimité, celle de l'Assemblée nationale constituante et celle du gouvernement. On l'invoque à chaque critique, à chaque mise en cause des gouvernants. Récemment encore, des manifestants du mouvement Ennahdha, au pouvoir, ont brandi des slogans invoquant cette légitimité. Il s'agit, bien sur, de la légitimité découlant des dernières élections du 23 octobre 2011. A ce niveau, nul ne l'a contestée. Mais toute légitimité ne saurait être permanente et immuable, étant donné que les urnes peuvent changer les premiers résultats. De plus, elle est conditionnelle et limitée dans le temps. Les élections concernaient une assemblée constituante pour un délai déterminé. En prêtant serment, le président de la nouvelle assemblée, Mustapha Ben Jaâfer, avait défini la mission dévolue à l'ANC, soit la rédaction d'une Loi fondamentale consacrant la justice sociale et protégeant les libertés publiques et individuelles ; il précisait aussi que le mandat de l'Assemblée ne devait pas dépasser un an. Aujourd'hui, plus d'un an plus tard, la Constitution n'est pas encore rédigée. Loin s'en faut. De ce fait, les élus ont failli à leur mission. Mieux, ils ont transformé cette assemblée en parlement, ce qui ne correspond ni à leur mandat ni à la volonté des électeurs. Ils ne se sont pas conformés aux règles définies, ce qui les place en hors jeu et remet la légitimité en question. Idem pour le gouvernement qui a agi non pas pour expédier les affaires courantes et régler les problèmes les plus urgents, en particulier la sécurité publique, mais s'est arrogé le droit de procéder à des réformes et à des règlements de comptes partisans. Le tout a débouché sur la grave crise que connaît le pays et à la situation alarmante dans laquelle se trouvent les Tunisiens. La vague de violence politique, inconnue jusqu'ici, qui a sévi pendant des mois impunément et a débouché sur des assassinats, a, semble-t-il, secoué ce beau monde. Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, en a pris conscience et a agi. Ayant essayé, en vain, pendant 7 mois, de constituer un gouvernement élargi, incluant diverses parties, il a pris le taureau par les cornes et annoncé, unilatéralement, vouloir un gouvernement de technocrates. «Le pays ne peut plus supporter la situation dans laquelle nous sommes», affirme-t-il dans une interview au journal français Le Monde. Et il écrit sur sa page Facebook et sur son compte Twitter : «Je t'ai choisie, Ô ma patrie». Entre son parti, Ennahdha dont il est encore le secrétaire général et dont il a servi les desseins hégémoniques, il semble avoir choisi la Tunisie. «C'est moi le responsable du gouvernement, je ne peux pas attendre, dit-il. Il n'y a pas d'autre choix que de former un gouvernement transitoire, indépendant des partis, avec des priorités : le développement des régions, l'emploi, la lutte contre la cherté de la vie et surtout l'amélioration de la sécurité». Et à ce propos, il évoque l'assassinat de feu Chokri Belaïd : «Ceux qui ont commis l'assassinat ne sont pas des amateurs ; c'est tout un appareil qui est derrière, avec une stratégie...Il faut s'attendre à des résultats très graves». De fait, ce qui se passe et ce qui se trame, est très grave. Ces hordes de salafistes et de membres des LPR qui envahissent la rue pour casser, briser, agresser et terroriser la population sont des hors- la- loi. Même lorsqu'ils prétendent vouloir protéger les biens publics. Seul l'Etat avec ses institutions a le monopole de la violence et la tâche de sécuriser les personnes et les biens. Un salafiste, recherché en vain par la police et «miraculeusement» trouvé par une station radio, a appelé les djihadistes tunisiens œuvrant en Syrie, en Irak et au Mali, à rentrer en Tunisie (ils sont estimés à 12 000) ; pourquoi faire ? Pour accomplir le jihad auquel appellent certains, dont un membre de l'ANC ? Le syndicat des forces de sécurité affirme qu'il y a des camps d'entraînement de terroristes en Tunisie. Un membre partisan d'Ennahdha, figure connue des LPR, surnommé Ricoba déclare «Nous ordonnons l'adoption du projet de loi sur l'immunisation de la révolution», c'est-à-dire ce projet de loi (illégal et hors la loi) qui veut priver des milliers de citoyens de leurs droits civiques et politiques. Tout cela ne procède-t-il pas d'un plan visant à instaurer une dictature islamiste ? Alors que Hamadi Jebali tente de sauver le pays, en particulier en éliminant la violence politique, il se trouve des personnes qui continuent à privilégier leurs appétits personnels et leurs partis au détriment de l'intérêt général. Ils se mettent hors jeu. Des partis d'opposition, d'éminentes personnalités, un Conseil des sages récemment créé à l'initiative du chef du gouvernement et même le président de l'Assemblée et son parti, membre de la Troïka, appuient cette proposition. Que peuvent faire les technocrates du futur gouvernement ? La principale tâche sera, au moins, d'établir la sécurité et de mettre fin à la violence. Reste que le politique ne sera jamais loin, certains partis ne pouvant présenter des technocrates, cherchent à placer leurs hommes pour «encadrer» ces futurs ministres. Mais tôt ou tard, ceux qui ne voient que leurs intérêts seront mis hors jeu. Par la force des choses et la volonté du peuple.