La grande manifestation à laquelle a appelé l'aile dure du mouvement Ennahdha, hier, a mis au jour l'étendue des lignes de clivage sur la place politique. On en arrive à se demander qui fait quoi et pourquoi ? Qu'est-ce qui fait courir les hommes et femmes politiques sous nos cieux ? Les intérêts du pays et ceux des citoyens ou leurs intérêts propres ? Les questions méritent d'être posées à la lumière des développements politiques survenus ces derniers jours. Récapitulons : Depuis les démissions successives de deux ministres, en juillet dernier, on parle de remaniement ministériel. Ce dernier a tellement traîné en longueur qu'il a fini par dresser tout le monde contre tout le monde. C'est la guerre de tous contre tous. On ne compte plus les désolidarisations, désertions, scissions et divisions au sein de partis et de coalitions politiques jusqu'ici bien soudés. C'est carrément le festival des scissions. Le pouvoir est, certes, une charge qui s'apparente, par moments, à l'épreuve. Et le pouvoir use. Ennahdha, le CPR et Ettakatol le découvrent à leurs dépens, risques et périls. Le mouvement Ennahdha, principale composante de la Troïka en déliquescence, le sait fort bien. Ses rangs sont divisés. Son secrétaire général, en même temps chef du gouvernement, est aux prises avec les démons de son propre parti. Le soir même de l'assassinat de Chokri Belaïd, leader des Patriotes démocrates et du Front populaire, il annonçait la formation imminente d'un gouvernement de technocrates. Mal lui en prit. C'est la levée de boucliers au sein de son propre parti. On tire sur lui à boulets rouges. Eh quoi ! Oser souscrire que le gouvernement a failli et dresser son constat de faillite ? Même des alliés de la Troïka ont été appelés à la rescousse. Ils sont mis à profit dans les luttes intestines au détriment du secrétaire général du mouvement Ennahdha. Et l'on en est arrivé à organiser des manifestations progouvernementales au nom de la légitimité contre le chef du gouvernement. Cela en dit long sur les passes d'armes feutrées et non feintes entre les protagonistes du principal parti gouvernemental. La manifestation d'hier, avenue Habib-Bourguiba, témoigne, entre autres, des clivages au sein d'Ennahdha. Les faucons du mouvement, en perte de vitesse dans l'opinion, en ont appelé à la mobilisation de la rue. Ils ont voulu enfanter au forceps une espèce de nouvelle légitimité révolutionnaire. Et en faire un tremplin pour rebondir et gagner un round décisif dans la partie de bras de fer qui les oppose à Hamadi Jebali, secrétaire général du parti. Les organisateurs, les ténors, les orateurs étaient tous apparentés aux faucons du mouvement. Des invités d'autres partis et mouvements ont entonné avec eux les chants de la surenchère. Après tout, c'est de bonne guerre, dira-t-on. Personne n'en voudra à un mouvement ou à un groupe de gens de faire de la propagande en faveur de leurs idées. Le jeu politique est, en partie, un jeu d'hégémonie, de circulation des idées et d'influence. Aujourd'hui, à défaut d'arriver à un modus vivendi sur les tables de travail, les protagonistes appellent la rue à la rescousse. Passe encore s'il s'agissait de rapports de force entre partis rivaux. Mais cela devient forcément problématique dès lors que la rue est interpellée dans des joutes au sein du même parti. Cela en dit long sur la maturité de la classe politique, particulièrement celle aux commandes de l'Etat. Les intérêts des coteries et des particuliers semblent importer beaucoup plus que la chose publique proprement dite. La manifestation d'hier, avenue Habib-Bourguiba, en était une éclatante illustration. Parce que ses organisateurs l'ont annoncée sous divers labels et bannières. Mais on ne juge guère quelqu'un d'après l'idée qu'il se fait de lui-même. Ou qu'il tente d'induire.