Cette ballade m'a été autant inspirée par Jacques Prévert, par son souffle poétique et sarcastique, que par Michel Butor qui fut mon professeur de Nouveau Roman, à Nice, et qui m'avait appris comment on pouvait faire des textes de circonstance «à double face et avec des amovibles, un peu comme à l'endroit et à l'envers». En voici le résultat, à travers cette ballade, qui rappelle mes «Bains de foule sur la grande avenue», depuis le début de la révolution tunisienne. Soyez prévenus jeunes gens, les jours de sursis, sur la grande avenue, sont presque terminés. Attendez l'heure de grande foule pour vous promener sous les ficus De jour comme de nuit quand les moineaux piailleurs dans le ciel, font leurs chorégraphies. Ne vous éloignez pas trop, dans la vieille ville où règnent les barbes et les balafres des anciens démons et des supplices! Soyez prévenues jeunes filles, les jours de survie, sur la grande avenue, sont presque achevés. Inutiles de vous exhiber au crépuscule. Vous êtes, ne l'oubliez pas, en mini-jupe ou en burka, le grand fumet du potage des illuminés qui vont vous avaler, c'est sûr, avec vos viandes et vos légumes S'incruster dans les plus bas degrés de votre lubricité Jusque dans les chambres de vos familles Ces cerbères sont prêts à tout! Soyez prévenu vieillard, les jours de nostalgie, sur la grande avenue, se sont presque évaporés. Dissimulez-vous dans vos ombres, ficelez vos langues rentrez dans votre barbe à papa Les corbeaux qui se prennent pour des colombes sont déjà là, ils vous écorcheront en voulant vous caresser, vous couperont en fines lanières dans votre humble matière avec leurs vociférations et piétinements de loubards ! Soyez prévenue vous aussi, Révolution tunisienne, les jours de gloire sur la grande avenue ont été cassés Prenez-en votre parti le parti des jasmins surannés, des coquelicots sauvages et des roses trémières ou même des pissenlits. Gardez votre tête froide N'épargnez plus personne Ils se mordront les doigts les uns des autres dans leurs palais hantés dans leurs télé-urnes dans les journaux qui ont perdu leurs ailes, et à l'ANC! Soyez donc prévenus jeunes gens, jeunes filles, vieillards, la Révolution tunisienne sur la grande avenue, vous l'avez ratée Inutile de faire des commentaires, la chose la plus élémentaire c'est de vous taire En attendant la prochaine révolution, Quand reviendront les vrais pigeons voyageurs, avec leurs rameaux d'olivier qui ont fait le tour de la terre quand le chant de Chebbi s'élèvera quand la voix de Chokri s'étendra au monde entier et que l'on entendra une nouvelle fois des «Hourra! Hourra!» Sur la grande avenue enfin libre et heureuse.