Avec la composition officielle du gouvernement Laârayedh qui sollicite, demain, la confiance des constituants à l'ANC, peut-on affirmer que le compte à rebours en vue des prochaines élections a démarré ? Les huit prochains mois supposés nous séparer du rendez-vous électoral tant attendu sont-ils suffisants pour que les élections se déroulent conformément aux normes internationales requises, surtout quand on sait que les instances censées baliser la voie à ces élections ne sont pas mises en place ou activées (l'Isie qui peine à choisir son comité de direction) ? Et l'action sociale et économique du gouvernement en parallèle à l'aspect purement politique de son activité, comment doit-elle évoluer au cours des prochains mois ? La Presse a essayé de sonder les approches et les attentes de certains acteurs du paysage politique national. Analyses et attentes. Ridha Belhaj (directeur exécutif de Nida Tounès) : Le gouvernement doit faciliter la mission de l'Isie Je pense qu'on peut affirmer que le compte à rebours en vue des prochaines élections a commencé à la condition que le gouvernement Laârayedh se mette sérieusement au travail en vue d'assurer une préparation optimale de ce rendez-vous que les Tunisiens attendent avec impatience. Si les nouveaux ministres de l'Intérieur et de la Justice collaborent avec l'Isie et lui facilitent le travail, l'on est en mesure de dire que les élections auront de réelles chances de se dérouler dans les normes. Mais avant d'arriver à cette phase, il faut que l'Assemblée nationale constituante accélère la mise en place effective de l'Isie, sachant que cette instance a besoin d'au moins six mois, à compter de son entrée en fonction, pour pouvoir préparer des élections qui répondent aux standards internationaux. Si ces conditions sont satisfaites, l'on peut se considérer dans une campagne électorale ouverte qui n'attend que son lancement officiel. En parallèle, l'ANC doit se mettre au travail pour parachever la rédaction de la Constitution et son adoption, la création des instances de régulation et la promulgation du nouveau Code électoral. Le délai de 8 mois est suffisant au cas où chacune des parties concernées assumerait ses responsabilités. Au parti Nida Tounès, nous attendons que la date des élections soit fixée pour commencer le travail de terrain. Maintenant que nous disposons de plus de 200 structures régionales et locales, outre nos représentations à l'étranger (Europe, Canada, USA, les principaux pays du Golfe, le Maroc et l'Algérie), nous nous préparons à aborder la prochaine phase avec le maximum de vigilance et de veille. Mahmoud Baroudi (membre du bureau constitutif de l'Alliance démocratique) : Une campagne ouverte depuis le 23 octobre 2011 La campagne électorale a déjà commencé depuis le soir du 23 octobre 2011 avec l'annonce des résultats du scrutin relatif au choix des membres de la Constituante, et ce, comme si les véritables élections allaient se dérouler demain. Aujourd'hui, avec l'obtention assurée par le gouvernement Laârayedh de la confiance de l'ANC, ce gouvernement doit travailler pour que les élections attendues se déroulent dans les meilleures conditions possibles. Et ces conditions ont pour noms: stabilité politique, garantie de la sécurité, révision au maximum des nominations contestées dans les administrations régionale et locale et lutte sérieuse contre le phénomène de la violence sous toutes ses formes. En parallèle, le gouvernement est appelé à mener une bataille sérieuse contre la cherté de la vie et la détérioration du pouvoir d'achat du citoyen. Dans l'opposition, notre rôle est de demeurer vigilants et attentifs en vue de relever les éventuelles erreurs et d'appeler à ce qu'elles soient corrigées à temps. Ma conviction personnelle est qu'il n'y aura pas d'élections avant janvier 2014, les huit mois que plusieurs semblent avoir fixés pour le prochain rendez-vous électoral ne sont pas suffisants afin que les instances soient installées et que l'Isie commence, enfin, à travailler. Au sein de l'Alliance démocratique, nous excluons, désormais, tout projet de front ou de coalition avec quiconque, principalement avec Ettakatol, qui a choisi son camp. La campagne électorale, déjà ouverte, nous la mènerons tout seuls avec nos moyens et nos programmes. Tahar H'mila (président du parti Le décollage pour l'avenir) : Tout dépendra du programme de Laârayedh On peut imaginer effectivement que la campagne électorale a déjà sonné en vue des élections que tout le monde attend avec impatience et fébrilité. Seulement, il faut attendre le discours que le chef du gouvernement va prononcer demain devant les constituants pour voir les options et les choix qu'il va épouser. Va-t-il changer de politique en matière de justice, de sécurité et d'administration régionale ? Que va-t-il décider pour les gouverneurs et les délégués qui attendent d'être maintenus ou remplacés ? Quant à la révision de la liste des nominations, nous attendons encore si elle sera opérée ou renvoyée aux calendes grecques. Demeure aussi une grande inconnue : la relation entre Ennahdha et le courant salafiste. Pour le moment, Ennahdha maintient le flou et refuse de s'exprimer sur ses intentions futures. Le délai des fameux huit mois qui nous séparent des élections est-il plausible ? Je réponds en soulignant qu'il est possible au niveau de la Constituante d'acheminer la mise en place des instances constitutionnelles dans les dates prescrites. Pour moi, l'essentiel c'est le retour de la sécurité. Sans une situation sécuritaire stable, il est impossible d'organiser les élections. Elle constitue une condition incontournable d'une vie politique normale. Skander Bouallagui (porte-parole du parti Al Aridha Achaâbia pour la liberté, la justice et le développement) : Ennahdha bloque tout parce qu'elle a tout perdu Tout d'abord, notre espoir est que la période restante de la deuxième phase transitoire ne perdure pas au-delà du délai des huit mois convenus. Et ce, eu égard à ce que les Tunisiens endurent au niveau de la détérioration de leur pouvoir d'achat, résultante incontournable des tiraillements qui ont divisé le pays depuis les élections du 23 octobre 2011. Nous exercerons toutes les pressions qu'il faut, en partenariat avec les partis de l'opposition, afin que l'ANC mette en place un calendrier d'achèvement de ses travaux, dans une période ne dépassant pas six mois. Pouvons-nous dire qu'on est entrés dans une phase de campagne électorale ouverte ou prématurée avec l'annonce officielle du gouvernement Laârayedh ? Oui, il me semble que c'est un fait naturel dans la mesure où la plupart des partis politiques présents sur la scène nationale sont de création récente et cherchent par tous les moyens à se faire connaître et à diffuser leurs programmes et leurs orientations. Quant à ceux qui sont déjà au pouvoir et principalement ceux de la Troïka, je pense que le peuple est désormais édifié sur leurs choix et qu'il leur est difficile de continuer à tromper les Tunisiens. Toutefois, je suis convaincu que ces partis continueront à exploiter les institutions des présidences de la République et du gouvernement pour parachever leur campagne électorale. Seulement, ils perdront une part très importante des voix qu'ils ont récoltées le 23 octobre 2011. Tout simplement parce que celui qui a échoué lamentablement durant plus d'une année et demie au pouvoir n'a aucune chance de réussir à convaincre le peuple du bien-fondé de ses choix en six mois. Pour les élections, il faut rappeler que techniquement elles ne peuvent se dérouler avant l'adoption définitive de la future Constitution et la promulgation de la nouvelle loi électorale. Dans les faits et à l'échelle de la Constituante, nous remarquons que «la majorité de l'échec», formée des partis de la Troïka et maintenant de la Troïka bis, fait tout pour bloquer la discussion, article par article, du deuxième avant-projet de la Constitution. Ils cherchent, par tous les subterfuges possibles, à gagner du temps. Pourtant, plusieurs experts en droit constitutionnel estiment qu'il est possible que cet avant-projet soit adopté.