Les constituants qui ont participé, hier, à la discussion de la déclaration du chef du gouvernement désigné étaient-ils venus pour écouter Laârayedh et entendre ce qu'il leur proposait sollicitant leur confiance ou tout simplement pour réciter leurs copies préparées à l'avance? Cette interrogation a plané, avec insistance, sur le débat instauré, au palais du Bardo, d'autant que plusieurs questions, reproches ou revendications soutenus par les intervenants ont été abordés par Laârayedh dans sa déclaration, laquelle déclaration a, semble-t-il, été boycottée par des constituants qui étaient attablés à la buvette de l'ANC alors que le chef du gouvernement discourait devant des chaises vides. Une autre question est à poser : Laârayedh a-t-il présenté un véritable programme dont l'exécution pourrait s'étaler sur plusieurs années ou s'est-il contenté d'une simple déclaration que plusieurs parmi les constituants n'ont pas hésité à qualifier de faible, d'hésitante et de peu rassurante? Les priorités qu'il s'est engagé à concrétiser vont-elles de pair avec les attentes du peuple, attentes que les constituants, toutes appartenances réunies, étaient censés traduire? Tout porte à avancer que d'après les interventions des premiers constituants qui ont pris la parole, Ali Laârayedh parlait, hier, devant un auditoire qui l'entendait mais ne l'écoutait pas. Même les rares constituants qui donnaient l'impression de partager sa vision s'étaient contentés de généralités anodines sans aller au fond des choses et sans avancer une seule suggestion à même de renforcer les solutions que le prochain gouvernement entend mettre en œuvre durant les 9 mois qui lui restent. Priorités inversées Abderraouf Ayadi, président du mouvement Wafa, n'y va pas par quatre chemins pour dire: «Les priorités de Laârayedh sont des priorités inversées. Il insiste sur les échéances politiques dont en premier lieu les futures élections. Ces priorités sont l'affaire de l'élite alors que les véritables priorités sont bien la reddition des comptes, le jugement des corrompus, la normalisation de la situation sécuritaire et la lutte sérieuse contre les forces antirévolutionnaires qui agissent désormais au vu et au su de tout le monde, tout simplement parce que l'ancien gouvernement les a laissés faire. Quant au nouveau gouvernement, il nous donne l'impression de continuer sur la même voie puisque rien dans la déclaration de Laârayedh n'annonce que ces corrompus vont être déférés devant la justice». Pour Néji Jmel, constituant nahdhaoui, «le gouvernement Ali Laârayedh constitue un projet que trois partis politiques ont décidé de mettre en œuvre tout en s'ouvrant sur des compétences apolitiques, loin de tout attachement à préserver les fauteuils ministériels ou satisfaire quiconque. Les priorités du gouvernement sont celles de tous les Tunisiens : restaurer la sécurité, maîtriser les prix, concrétiser les projets de développement déjà arrêtés et lutter contre la malversation et les ennemis de la révolution». Comme à l'accoutumée, Mouldi Riahi, président du groupe parlementaire d'Ettakatol, s'est distingué par son discours apaisant, modéré et qui se veut optimiste. «Nous sommes tous fautifs, y compris les membres de la Constituante. Aujourd'hui, il nous est impératif de tirer les enseignements qu'il faut. Nous avons besoin désormais d'un chef de gouvernement qui sera un leader effectif et d'une équipe gouvernementale dont les membres agiront en concert et sauront faire la part des choses entre leurs appartenances partisanes et leurs fonctions ministérielles. Nous voulons un gouvernement d'action et de concrétisation». Laârayedh a-t-il les compétences pour sortir le pays de la crise? Mourad Amdouni, constituant du bloc démocratique, considère qu'on «n'est pas sorti du carré de départ puisque les nominations clientélistes continuent. Ainsi, le nouveau ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle a été choisi sur intervention». «Je me demande, poursuit-il, comment va-t-il procéder pour répondre aux milliers de demandeurs d'emploi et comment saura-t-il trier ceux qui bénéficieront de ses faveurs». Dans le même ordre d'idées, le constituant Fadhel Ouerghi exprime sa conviction que «la Troïka est plus que jamais attachée au pouvoir et qu'elle a tout fait pour faire avorter l'initiative de Hamadi Jebali relative au gouvernement de technocrates». Il va plus loin en se posant la question : «Ali Laârayedh a-t-il les compétences nécessaires pour diriger le gouvernement ?». S'adressant directement au chef du gouvernement désigné, il assène : «Vous avez lamentablement échoué en tant que ministre de l'Intérieur, personne ne vous apportera sa confiance en tant que chef de gouvernement». Le bal des accusations ayant démarré en trombe, le constituant d'Al Aridha Achaâbia, Jedidi Sbouii, ne pouvait pas s'empêcher d'apporter de l'eau au moulin des opposants à Laârayedh et à la Ttoïka et principalement à Ennahdha. «Le parti Ennahdha a démontré qu'il ne peut perdurer au pouvoir qu'avec le soutien de partis satellites qui se contentent des miettes. Le gouvernement «d'Errach» (chevrotine) et de la «Hogra» (déni) est voué à l'échec d'avance, à l'instar du gouvernement précédent dont la faillite a été reconnue par les responsables d'Ennahdha eux-mêmes», clame-t-il. Les constituants Latifa Habbachi et Kaïes Mokhtar insistent sur la dimension économique à inscrire au fronton des préoccupations du prochain gouvernement. «L'obsession principale du citoyen est bien l'augmentation vertigineuse des prix. C'est la raison pour laquelle j'appelle à la mise en place d'une cellule de crise à l'échelle de la présidence du gouvernement en vue de maîtriser les prix et de lutter avec fermeté contre les spéculateurs», souligne Mme Hachani. De son côté, Kaïs Mokhtar estime que la promesse faite par Laârayedh de créer 90.000 emplois «est une promesse irréalisable au vu de la réticence des investisseurs tunisiens et étrangers, de la recrudescence de la contrebande et de la problématique cuisante du financement des projets». «On prend les mêmes et on recommence. Les mêmes visages et les mêmes politiques ne pourront produire que les mêmes résultats. La priorité est accordée aux échéances politiques, principalement les élections. Quant au peuple, il peut attendre encore. A écouter Laârayedh discourir, j'avais l'impression qu'il était le président d'une commission électorale élargie plutôt qu'un chef de gouvernement qui vient nous proposer un programme d'action et solliciter notre aval», renchérit Azad Badi, constituant du mouvement Wafa. Khemaies Ksila et Mohamed Ali Nasr, constituants de Nida Tounès, ont accordé leurs violons pour dire : «La mentalité est toujours la même. Les quotas sont encore de mise. Les ministères de souveraineté qui ont obéi à la soi-disant neutralité sont toujours minés par ceux qui ont accédé sur la base du clientélisme et de la complaisance. Malheureusement, la Troïka n'a pas compris que l'étape n'est pas une étape de pouvoir mais bien une étape de consensus. Les ministres qui ont échoué sur tous les plans, de l'aveu même de leurs propres partis, sont toujours là. Nous appelons à une conférence de dialogue national, à la révision des désignations complaisantes et à la dissolution immédiate des bandes de la violence». Mabrouk Hrizi se demande si le nouveau gouvernement continuera à «dire oui aux ordres du FMI et quand est-ce qu'il se décidera à ouvrir les dossiers de la corruption et à compenser ceux qui ont souffert de la tyrannie du régime déchu, y compris ceux qui ont partagé, parmi les nahdhaouis, les prisons avec les ministres du gouvernement actuel qui continuent à faire la sourde oreille à la reddition». «A écouter le discours de Laârayedh, je demande aux ministres de s'empêcher de lancer des promesses qu'ils ne pourront pas honorer, tout simplement parce qu'ils n'en ont pas les moyens», s'exclame le constituant Mohamed Khila. Articles liés : - Quatre priorités pour gagner la confiance - Réactions de la société civile