La pratique montre, parfois, la limite des lois et procédures en vigueur, et des incohérences par rapport aux bonnes intentions du départ. Et ces écarts sont, le plus souvent, flagrants quand il s'agit de la mise en œuvre d'un nouveau concept, à l'instar de la franchise. Mais aussi riches en enseignements. Pour analyser les moteurs et les freins de la mise en application de ce mode de commercialisation, on a contacté, M. Taieb Souissi, l'un des promoteurs qui a négocié, durant des années, plusieurs franchises avec des marques internationales. Ayant connu des succès et des échecs, dans le cadre d'une rude concurrence avec l'une des sociétés appartenant à l'un des proches du président déchu, il résume «Au-delà des bonnes intentions, la complexité des procédures, la réticence des banquiers et la taille démesurée de l'économie informelle entravent la modernisation des circuits de distribution». Et d'illustrer : «Sur la route menant d'une zone industrielle à Tunis à l'aéroport, un partenaire canadien a constaté à trois reprises des marchands ambulants qui exposent des coffres forts et des balances électroniques». Ce franchiseur potentiel s'est exclamé : «Un marché noir au grand jour!». Ce qui a pesé sur sa décision, fait-il savoir. Quand l'économie informelle prime, l'économie déprime. Pour définir la franchise, il avance : «Il s'agit de dupliquer une réussite». Et de préciser : «C'est un fonds de commerce sur un plateau d'argent». En effet, la notoriété de la marque internationale assure des issues pour les produits et services du franchisé. «L'adhésion du franchisé à un réseau commun, qui a accumulé une expérience réussie, mais aussi qui a confronté et résolu plusieurs obstacles, minimise les risques de l'aventure entrepreneuriale», précise-t-il. En amont, le franchisé bénéficie des économies d'échelle générée par l'ampleur du réseau commercial de la marque. «En achetant pour tout le réseau, les centrales d'achat seront en mesure d'offrir des matières premières et des produits de qualité à des coûts avantageux. Ce qui est de nature à renforcer la compétitivité des franchisés», explique le promoteur. Ainsi, pour le franchisé, c'est une formule de travail rassurante, en période d'activité habituelle, et encore plus, en temps de crise. Lorsque l'économie tourne à son rythme habituel, la franchise est une formule rassurante pour les investisseurs, notamment les jeunes promoteurs, démunis de fonds propres suffisants. Mieux encore, en période de crise cette formule offre au franchisé une garantie d'approvisionnement. De plus, la notoriété de la marque constituera un refuge pour les clients peu confiants en la qualité des autres produits peu connus, d'où une assurance de commercialisation. Dans cette perspectives, les contrats de franchise offrent aux banques une garantie de la réussite du projet. Et les consommateurs, de leurs parts, bénéficieront d'une qualité de services aux normes internationales et d'un meilleur rapport qualité-prix. Encore du chemin à faire S'attardant sur l'état des lieux du marché national, il estime que «malgré l'existence de plusieurs marques internationales dans diverses activités, l'expérience est encore à ses débuts». Et d'ajouter : «Théoriquement, le terrain est favorable au développement du concept». Mais, en pratique, l'insuffisance de la loi, dans certains cas, mentionne-t-il, et sa complexité dans d'autres, ont tardé le développement du concept. «Avant 2009, la législation tunisienne était ambiguë, parfois astucieuse, et surtout confuse», rappelle-t-il. Et après, tout contrat de franchise, notamment avec des marques étrangères, est conditionné à 22 conditions et documents précontractuels. De même, la liste positive des activités libres a exclu toutes les activités non citées, à savoir la restauration rapide, la distribution des produits alimentaires et les boissons chaudes. «Il est clair que le législateur a adopté une démarche progressive et réfléchie», conclut-il. Mais, le poids de ces conditions et la lenteur des procédures sont de nature à dissuader tout promoteur. Pis, «les orientations générales des réformes sont encore floues», déplore-t-il. S'agissant des produits importés, «l'enlèvement de la marchandise d'un franchiseur américain nécessite des semaines alors la même marchandise est dédouanée dans un délai ne dépassant pas 48 heures par le franchisé implanté en Arabie Saoudite», compare-t-il. Dans cette perspective, les franchiseurs focaliseraient leurs efforts ailleurs. Sur un autre plan, le poids de l'économie informelle est de nature à dissuader tout investisseur, franchiseur et franchisé. «L'un des vendeurs ambulants présentait à moitié prix des produits que j'importais légalement de la société mère», illustre-t-il. «A vrai dire, pour préserver la renommé mondiale de ma marque, le franchisé est appelé à respecter la législation en vigueur, en matière fiscale, douanière, commerciale et sociale. La traduction financière de ces engagements se manifeste dans les prix de vente. De ce fait, l'ampleur du marché parallèle pourrait entraver le développement de telles pratiques modernes de commercialisation». Ainsi, les franchisés se trouvent pénalisés par leurs atouts, puisque, selon le professionnel «la réussite d'une franchise est tributaire de la transparence, de l'intégrité et du sérieux des opérateurs». Et de renchérir «Ce fléau de contrebande et de corruption à la frontière ne cesse de croître». A cet égard, selon M. Souissi, l'application de la loi et la protection des frontières, géographiques, douanières, fiscales... est de nature à envoyer de plus forts messages aux investisseurs étrangers que l'existence des grosses enseignes. Sur un autre plan, le franchisé confronte des difficultés financières de taille. «Nos banquiers manquent de connaissances et de formations en matière de franchise», déplore le promoteur. En effet, la franchise s'exerce essentiellement dans le secteur du commerce et la distribution. Mais ces activités ne figurent pas dans les priorités des banques qui financent, principalement, des projets industriels dont les machines et équipements pourraient constituer des garanties réelles. Pis, «Même les Sicar exigent des garanties réelles». A cet égard, il insiste : «On doit parler le même langage pour faire évoluer la franchise». En résumé, la réussite de ce mode de commercialisation nécessite la simplification des lois, la limitation du marché parallèle, et l'incitation des banques à soutenir la réalisation et le développement de tel contrat. Car «le marché tunisien est à la fois prometteur et peu exploité», estime-t-il.