Le thème de la mémoire est le fil conducteur de la 13e session de «Cinéma de la paix?», qui tient cette année encore à mettre en avant les films humanistes, à vocation non commerciale. Du 13 au 17 mars, des œuvres qui suscitent le débat sont programmées, pour être fidèles aux principes de la Fédération tunisienne des ciné-clubs (Ftcc), organisatrice de la manifestation. En ouverture, Maudit soit le phosphate de Sami Tlili a été projeté dans la salle 7e Art à Tunis. Le bassin minier, c'est comme un ulcère dans le corps de la Tunisie, est accablé par les symptômes de la dictature. En 2008, les résultats du concours de recrutement de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) ont été, encore ne fois, manipulés. C'est la goutte qui a fait déborder le vase dans une région riche par ses ressources, pauvre en infrastructures et en développement. «Le 5 janvier 2008, un sit-in organisé par des chômeurs devant le siège de la commune de Redeyef, relevant de ce gouvernorat, marqua le début d'un mouvement de désobéissance civile qui dura 6 mois. Vingt et un ans après «le coup d'Etat médical» qui le mit au pouvoir, Ben Ali assista à son premier soulèvement populaire». Avec ces mots en guise de synopsis, Sami Tlili annonce sa position en faveur de ce soulèvement, qu'il désire archiver et documenter pour la mémoire collective. Il n'est pas le seul à considérer les événements de 2008 comme les vraies prémices du 17 décembre 2010 qui ont marqué le départ à un soulèvement quasi général. Les militants du bassin minier sont des oubliés...aujourd'hui, encore. Le film le montre, en suivant une manifestation qu'ils ont organisée sur l'avenue Habib-Bourguiba, bien après le 14 janvier 2011, où ils dénoncent leur marginalisation et la précarité dans laquelle baigne leur région. Avant cette séquence qui boucle le film, Sami Tlili raconte en images —les siennes et celles filmées par de jeunes amateurs de la région pendant les émeutes—, la chronologie de la révolte du bassin minier. Les familles, hommes, femmes et enfants, sont impliquées, corps et âme, dans cette cause qui les unit. 30.000 policiers sont déployés face à un village de 35.000 habitants. Les vidéos filmées avec les portables, les témoignages sur les arrestations et sur les tortures laissent imaginer le pire, dans un contexte où des balles réelles ont été tirées, faisant des morts que le régime interdit d'appeler «martyrs». Et dire que jusqu'à maintenant, justice n'a pas été faite. Les habitants du bassin minier n'ont pas encore de quoi se réjouir, et surtout pas de raison pour célébrer un certain 14 janvier 2011. L'amertume domine, par conséquent, le propos de Maudit soit le phosphate, qui porte bien son nom. Sami Tlili adopte, à caméra déployée, la cause des personnages qu'il filme, avec l'idée de base que malgré tous les sacrifices, rien n'a changé pour ces gens. Les témoignages sont, d'ailleurs, portés par trois générations de détenus : un père instituteur, son élève devenu à son tour enseignant, et qui a, dans sa classe, le fils de son maître. Les trois subissent, en même temps, la répression. Celle-ci semble être un lourd héritage qui passe de père en fils. Héritage filmé, raconté par une voix-off, poétique et mélancolique, chanté par Badiâa Bouhrizi et Maryem Laâbidi. L'importance de l'image dans ce film dépasse le simple support pour être questionnée dans son sens et dans sa responsabilité. L'image de Sami Tlili tend la perche à celle des amateurs—lui-même étant un ancien de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs—, pour montrer le rôle des médias sociaux et alternatifs, comme la chaîne Al Hiwar Attounsi, qui ont relayé les vidéos des manifestants, pendant que des médias publics ont failli à leur devoir, faisant de surcroît la propagande du régime, jusqu'à la fin. Ce qui fait de Maudit soit le phosphate un excellent choix pour l'ouverture de «Cinéma de la paix? », dont le propos reste d'actualité et un support de débat, les discussions des films étant l'une des principales vocations de la Ftcc et de ses événements. Dans Maudit soit le phosphate, l'image a comme principale raison d'être de s'ériger en une mémoire contre l'oubli, une gravure dans la pierre de l'Histoire, du nom de ceux qui ont payé cher la liberté, sans vraiment obtenir la reconnaissance, pour ne pas dire sans rien obtenir du tout. Mais il y a l'image, leur nouvelle arme, une arme qui défie le temps, la distance et l'oubli.