Naissance d'une armée nationale est une récente publication du colonel à la retraite Boubaker Ben Kraiem né à Msatria (Sfax) le 27 janvier 1938. L'auteur de ce livre qui fait partie de la première promotion de St-Cyr, école militaire française de grande renommée, a exercé tous les commandements dans l'armée, exception faite de la fonction de chef d'état-major : commandant de secteur frontalier, de compagnie, de bataillon, de régiment, de brigade et sous-chef d'état-major de l'armée de terre. Mis à la retraite par le régime bourguibien, à l'âge de 48 ans, pour ses idées, l'homme a été profondément marqué par son séjour à la frontière tuniso-algérienne (1958-1961), au Congo et au Katanga (1961-1963). Dans cette œuvre, il raconte le vécu d'une armée nationale depuis la naissance tout en s'attardant sur ses réussites et ses trébuchements. Le premier chapitre du livre, intitulé «La création de l'armée et le recrutement de la 1ère promotion d'élèves officiers», s'ouvre sur une présentation des circonstances historiques ayant préparé la naissance de l'armée tunisienne. En effet, l'auteur rappelle que l'alternance de différentes dynasties à la tête du pays a abouti vers la fin du XIXe siècle à l'établissement du protectorat français en 1881. Une situation réprouvée par une bonne partie du peuple qui organisait une résistance armée à Gabès, Sfax et dans les zones tribales et à la frontière algérienne. Cette résistance armée a été accompagnée d'une autre résistance politique et intellectuelle à l'occupation française chapeautée par le «père du nationalisme tunisien» Ali Bach Hamba. Mais, comme le souligne le livre, deux actions ont été à la base de la formation de l'armée au sens propre du terme après l'Indépendance le 20 mars 1956. L'on parle, à ce propos, de la demande de transférer des militaires tunisiens servant dans l'armée française et volontaires pour servir dans la jeune armée tunisienne. La deuxième action consiste en l'organisation d'un concours pour le recrutement de jeunes Tunisiens destinés à être formés en France comme futurs cadres de l'armée. Cela nous conduit à évoquer le deuxième chapitre du livre, où l'écrivain revient, non sans nostalgie, sur une étape qu'il qualifie d'enrichissante et de déterminante tout aussi pour lui que pour ses collègues de la promotion Bourguiba : la formation qu'ils ont eue à Saint-Cyr. On apprend à travers ses confessions qu'après avoir fait les touristes à Paris durant trois jours, les officiers tunisiens ont ensuite pris le train vers Rennes, où des camions les attendaient pour les transporter à Coëtquidan, en Bretagne. Parmi les questions qu'ils se posaient alors : comment allaient-ils trouver l'école à la grande renommée internationale ? Quel accueil leur sera réservé par les élèves officiers français et les cadres naguère guerroyant contre les résistants tunisiens ? Dans son livre, le colonel Ben Kraiem parle également de la bataille de Remada, soulignant que l'une des mesures audacieuses décidées par le gouvernement tunisien après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958 était d'interdire aux troupes françaises de quitter leurs casernements pour ainsi réduire significativement leur liberté de mouvement. Une mesure que le colonel Mollot, basé à Remada, n'a pas du tout respecté pour finalement quitter son poste de commandement et monter à 40 km vers le nord, arrivant jusqu'à l'oued Dekouk. D'où la mobilisation de groupes supplétifs de la garde nationale commandés par le Caïd Mosbah Jerboua qui ont réussi à encercler dans le borj de Remada l'unité française qui s'y trouvait. Ainsi, poussés à la retraite et par vengeance, les militaires français ont sauvagement assassiné le directeur de l'école de Remada, Bechir Nebhani, son épouse et ses trois enfants. L'évocation de cette anecdote historique semble être voulue par l'écrivain pour mieux illustrer la sauvagerie et le manque d'humanisme des colons. A force d'avancer dans la lecture du livre, l'on trouve de quoi nourrir une fierté intarissable des différents exploits de l'armée nationale. Il y a lieu d'évoquer ici la participation des forces armées tunisiennes au maintien de la paix au Congo. Comme le signale le livre, les contingents et les commandants tunisiens s'étaient brillamment acquittés de leur tâche. Une réussite qui a poussé la presse locale à écrire le lendemain du départ des forces tunisiennes : «Le départ des Tunisiens est unanimement regretté tant par la population européenne qu'africaine». L'on y croit fermement si l'on se réfère aux réalisations des colonels Lasmar et Remiza généreusement citées par M.Ben Kraiem. Sans trop rentrer dans les détails, faute d'espace, il convient de dire du reste que le livre revient entre autres sur la lutte commune tuniso-algérienne, fraternelle et solidaire contre le colonisateur français, trace les différentes évolutions de l'armée, aborde le rôle qu'elle a joué dans le développement économique, et rend hommage à tous ceux qui se sont sacrifiés et dévoués au service de la patrie. De ce fait, il se présente comme un document de référence, sinon, comme une œuvre encyclopédique de l'armée tunisienne. Vivement recommandé, surtout pour ceux qui ignorent les sacrifices des prédécesseurs pour garantir la dignité de leurs successeurs et préserver une patrie libre, indépendante, prospère et souveraine.