Une entreprise qui ne collecte pas ses savoirs, ne les conserve pas, ne les protège pas, ne fait pas en sorte qu'ils évoluent et qu'ils soient transmis à ses nouveaux membres (pour ne pas dire salariés) est une entreprise appelée à disparaître. Une situation qui hélas menace bon nombre de nos entreprises, celles qui n'ont pas pu, ou su, maîtriser le savoir nécessaire à cette gestion intelligente (management) du savoir. Car les savoirs de et dans l'entreprise, de quelque nature qu'ils soient, doivent être considérés comme le vrai capital, le vrai moteur. Commençons d'abord par dire qu'il existe plusieurs types de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. Nous citerons les savoirs propres à chacun des métiers de l'entreprise et les savoirs propres à son corps de métier. Il y a aussi les savoirs propres à sa position dans son marché (besoins, concurrence, conjoncture…) et qui lui permettent de résister aux changements plus ou moins rapides, plus ou moins profonds et parfois irréversibles que ce dernier subit. Les spécialistes parlent aussi de l'entreprise apprenante, celle qui sait (un autre savoir) collecter ses savoirs et bien les conserver. Dans ce genre d'entreprises, les erreurs commises ne font pas l'objet d'un traitement purement administratif (recherche des responsabilités, sanctions…), mais plutôt d'un traitement technique dans le métier concerné. Dans ce cas, l'erreur, qui est différente de la faute, est analysée selon plusieurs méthodes, celle appelée causale étant la plus usuelle et permet ainsi de créer un savoir spécifique. Celui-ci aura pour entre autres avantages d'éviter que l'erreur en question ne se répète. Une faute étant, rappelons-le, une erreur qui se répète malgré le savoir dégagé et les nouvelles pratiques adoptées pour que celle-ci ne se reproduise plus. Dans une entreprise «ignorante», par contre, il n'existe aucun système ou mécanisme digne de ce nom capable d'identifier les savoirs, de les collecter, de les conserver, de les sauvegarder, de les fructifier… Bref, l'entreprise est laissée au hasard des circonstances avec tout ce que cela engendrera comme pertes, fuites, déperditions, déformation, piratage… en termes de savoirs. Même les formations, qu'elles soient spontanées ou organisées, ne sont pas dans ce cas-là capitalisées. Que de sessions de formation organisées en intra ou programmées en inter-entreprises, par exemple, au profit des membres de l'entreprise «ignorante» et que ces derniers suivent sans que ces formations ne se traduisent hélas par des changements dans les savoirs, savoir-faire et savoir-être des concernés. Ce sont donc des actions inutiles, d'abord parce que généralement basées sur la transmission de savoirs théoriques, ensuite parce que le système, disons plutôt le pseudo-système, des savoirs de et dans l'entreprise est défaillant. Que se passe-t-il encore dans ces entreprises «ignorantes»? Eh bien, les savoirs sont dispersés chez les membres de l'entreprise (salariés et autres) et ne parviennent pas à se focaliser sur des objectifs de compétence ni même sur des objectifs de performance (d'où l'expression, sans doute, «apprendre sur le tas»). Dans ce genre d'entreprise, les compétences tendent à s'appauvrir et à s'étioler (voir : «L'hémorragie des compétences» — L'entreprise au quotidien — La Presse-Economie du 23 mai 2010). Celles qui sont épargnées par ce courant sont soit dégoûtées, donc partent chercher leurs chances ailleurs, soit repérées par d'autres entreprises (concurrentes ou autres) et débauchées. Le plus dur pour l'entreprise abandonnée est que ces compétences perdues soient récupérées par les concurrents (un ensemble de savoirs non protégés). Certaines compétences ne pouvant ni chercher ailleurs ni n'ayant pu être repêchées par d'autres entreprises sont souvent marginalisées, à tel point qu'elles sont parfois employées hors de leur métier principal. Le reste trouveront leur salut en vendant leurs compétences ponctuellement (enseignement, consulting, formation…). Nos entreprises, disons la plupart d'entre elles, sont donc appelées à devenir des entreprises apprenantes. C'est plus qu'urgent, cela s'apprend. Il faudrait donc d'abord qu'elles deviennent conscientes de leur ignorance. Les aider à le devenir… tout un savoir.