Comment définir la liberté d'expression ? Comment la protéger par les lois ? Et quelles peuvent être les restrictions à ce principe fondamental dans toutes les démocraties? Un colloque de deux jours, organisé par le Conseil de l'Europe et l'Institut arabe des droits de l'Homme, a été tenu pour répondre à ces questions cruciales, qui intéressent plus que jamais un pays en transition démocratique comme la Tunisie. L'aspiration à la liberté d'information et d'expression est une constante quasi générale chez les professionnels des médias de par le monde. Elle découle de ce droit qu'a le public de connaître la vérité à travers ses divers angles et facettes. Si dans les pratiques, jamais la liberté d'expression n'a autant été exercée en Tunisie que depuis la révolution du 14 janvier, les lois tardent encore à entrer en vigueur, les autorités bloquant jusqu'à ce jour l'application des décrets-lois 115 et 116, le premier relatif au nouveau Code de la presse et le second à la création de la Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle (Haica). A l'ANC, les débats se poursuivent autour de l'Instance constitutionnelle de l'information, qui risque de se transformer en autorité de contrôle de l'information puisque ses neuf membres seront choisis essentiellement au sein de la majorité parlementaire. Dans cette période de transition démocratique caractérisée en Tunisie par une rupture avec l'ancien système juridique et la recherche d'un nouvel ordre notamment en matière de liberté d'expression, il est fondamental de mettre en perspective la réalité tunisienne avec les expériences d'autres pays, notamment ceux installés depuis longtemps dans la démocratie. C'est dans ce cadre précis que le colloque sur «Les garanties normatives et institutionnelles de la liberté d'expression», a été organisé les 2 et 3 avril, à Tunis par le Conseil de l'Europe, l'Institut arabe des droits de l'Homme, avec le soutien de l'Organisation internationale de la francophonie et la Principauté de Monaco. Y ont participé plusieurs experts tunisiens et étrangers en matière de droits des médias. La presse «chien de garde des sociétés démocratiques» Se référant à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, Jacqueline De Guillenchmidt, juriste et membre de la Commission de Venise au Conseil de l'Europe insiste sur les deux versants de la liberté d'expression : «Une composante que l'on pourrait qualifier d' «active» c'est-à-dire le droit de communiquer librement une information ou d'exprimer librement une opinion et une composante que l'on pourrait qualifier de «passive», le droit de recevoir des informations ou des idées diversifiées». D'un autre côté, selon la juriste, celui qui exerce son droit à la libre expression ne doit pas faire l'objet de poursuite de ce seul fait. De la part de n'importe quelle autorité, un Etat, une administration ou une juridiction. Dans l'espace européen, la liberté d'expression est considérée comme une «liberté-carrefour», selon Mme de Guillenchmidt, car dit-elle, c'est là une «condition de l'exercice d'autres droits, notamment la liberté de conscience, dont elle est en quelque sorte le prolongement mais aussi la liberté de réunion, d'association ou encore de manifestation». En Europe, ce droit a un juge : la Cour européenne des droits de l'homme. Cette institution considère la presse, qui anime le débat public et transmet aux citoyens les idées et les attitudes des gouvernants, comme «un chien de garde des sociétés démocratiques». La primauté du principe de l'ouverture sur les restrictions Les restrictions à la liberté d'expression existent dans l'espace européen. Elles renvoient, selon la Convention européenne des droits de l'Homme, à la sécurité nationale, l'intégrité territoriale ou la sûreté publique, la défense de l'ordre public et la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, la protection de la réputation ou des droits d'autrui, la garantie de l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. Mais dans les pays démocratiques, comme l'a affirmé Franck La Rue, rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d'opinion, ce qui prime dans l'application des lois en rapport avec la presse c'est le principe d'ouverture et de liberté sur les mesures restrictives. «La qualité d'une démocratie dépend également de la présence de discours inconvenants dans l'espace public», ajoute de son côté Juan Barata, professeur de communication à l'Université de Barcelone et ancien secrétaire général de l'autorité audiovisuelle de la Catalogne. Beaucoup se souviennent de la polémique autour de ce citoyen français qui avait brandi une pancarte sur laquelle était écrit «Casse-toi pauvre c...» au passage du président Sarkozy dans une ville de province française. «Le ministère public l'ayant poursuivi pour offense envers le chef de l'Etat, délit réprimé pénalement dans notre pays, l'affaire a été portée devant la Cour de Strasbourg le 1 mars 2013. Celle-ci a jugé que les critiques devaient être plus largement admises envers un homme politique, visé en cette qualité par l'insulte, qu'envers un simple particulier et que les personnes avaient le droit d'exprimer leur opposition sur le mode de la dérision. Notons l'effet de cette décision sur le droit interne puisqu'une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale, dès le 27 mars 2013, pour abroger le délit d'offense au chef de l'Etat», témoigne Jacqueline de Guillenchmidt. Ce respect quasi sacré de la liberté d'expression dans le contexte européen découle probablement de l'histoire de la région, qui a connu dans le passé les pires des régimes autoritaires. Ici aussi on a expérimenté à quel point ne pas reconnaître le droit à l'exercice de cette liberté pouvait conduire les Etats à la dictature «et une fois que cette liberté est morte c'est pour la ressusciter que naissent et triomphent, ou hélas trébuchent, les révolutions», ajoute J. de Guillenchmidt. Articles liés : - 2 Questions à ... Juan Barata, professeur de communication : «Nous devons éviter l'autocensure des journalistes» - La nouvelle Constitution offrira toutes les garanties