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Mémoire ou improvisation?
Fleurs de rhétorique
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 06 - 2010


Par le Pr Nebil RADHOUANE
Qui de nous n'a pas été impressionné un jour par un professeur doté d'une mémoire peu commune ? Cette qualité est aujourd'hui si exceptionnelle que l'auditoire la prendrait volontiers pour un pouvoir paranormal, un vrai miracle de mutant. Quand elle n'intrigue pas, quand elle ne fait pas peur, elle suscite l'admiration, car on a toujours infiniment plus de respect pour un orateur qui parle sans papiers, un enseignant qui se détache de ses fiches, que pour un pauvre liseur de texte, un « épellateur » de mots écrits, prédigérés et prêts à réciter.
Dans cette même catégorie d'orateurs exceptionnels, lesquels, en définitive, ne font qu'appliquer les consignes du cinquième canon de la rhétorique classique, à savoir la mémoria (la mnémè), il existe une hiérarchie. Les plus forts sont ceux qui semblent prêts à affronter n'importe quel discours sur n'importe quel sujet, sans références s'il vous plaît, ni même le moindre bout de papier où seraient enregistrés quelques sous-titres ou quelques lignes de force. De tout cela, rien. Et pourtant, sans la moindre défaillance, sans le moindre balbutiement ou trou de mémoire, c'est un discours impeccable que ce type d'orateur vous prononce comme s'il le lisait sur un écran invisible, comme si, sous la dictée, il le produisait du premier jet. Henri Maldiney, un grand métaphysicien et un immense professeur de philosophie, donnait des cours saturés de références sans le moindre papier. Il choisissait un coin de la salle où fixer son regard puis, sans plus quitter ce repère conducteur, comme s'il y lisait un texte que lui seul voyait, disait d'une seule haleine un cours méthodique, documenté, structuré et admirablement tourné. Les références, non écrites, sont pourtant présentes dans la mémoire d'un orateur comme lui : elles sont citées avec leurs dates, leur lieu de publication, et les pages où sont puisés les renvois aux passages récités par cœur.
N'atteignant pas à cette toute –puissance mnémonique, mais non moins dignes de respect, d'autres orateurs préfèrent ne pas pousser la prétention ou la coquetterie jusqu'à l'abandon total des papiers. Par respect pour l'auditoire, ou peut-être par prudence (nul n'est infaillible), ils choisissent d'être moins surhumains (et partant moins inhumains) que les précédents. Même s'ils n'ont guère besoin de lire dans leurs notes, ils trouvent plus correct de les avoir sous la main, ce qui garantit plus de proximité avec l'auditoire, plus de solidarité, voire une certaine identification. Du reste, même sans être absolument nécessaire, la seule présence des papiers est une protection pour l'orateur, une sécurité supplémentaire en cas de défaillance ou de malaise.
On aura compris que ces deux premières catégories d'orateurs sans papiers peuvent se prévaloir d'un avantage considérable au plan de l'éthos. Les premiers, surhumains, suscitent l'estime et l'envie‑; les seconds, humains, peut-être trop humains, méritent la sympathie.
Une troisième catégorie, moins forte mais qui bénéficie d'autant de savoir-faire, mêle la mémoria à l'actio. En termes très simples, ce sont ces orateurs qui apportent leurs discours dactylographiés ou leurs notes écrites, les lisent devant l'auditoire…en faisant semblant de ne pas les lire. Intervient alors, évidemment, tout un arsenal d'appuis de discours, de scories simulées pour donner au texte écrit l'apparence de l'oralité authentique : euh, eh bien, donc, me semble-t-il, voyez-vous, j'allais dire, on va dire, etc.
Au-delà de toutes ces considérations, se pose la question que voici : quelle différence y-a-il entre l'improvisation et la mémoria ? Aucune. Ou alors on donnerait à l'improvisation le sens mythologique d'un don divin, d'une science infuse avec la naissance. On n'improvise pas ex-nihilo. L'improvisation est un art de la mémoire. Et la mémoire de l'orateur se travaille, tout comme l'athlète entraîne un muscle. Le discours improvisé est celui-là qui aura appliqué les normes classiques de la mémoria, cinquième partie de la techné rhétorikè. Non pas toujours parce que l'orateur est un surdoué de la mémoire. Non pas tellement parce qu'il succombe à la nostalgie des temps antiques où l'imprimerie n'existait pas encore. Mais parce que même l'écrit ne saurait exister « dans l'oubli » de la mémoire !
Tout orateur, qu'il lise dans ses papiers ou qu'il fasse semblant d'improviser tout en ayant, théâtralement et « hypocritement », le regard rivé en biais sur ses notes, doit mobiliser la mémoire, doit compter sur cette facilité du verbe et cette aisance naturelle que la rhétorique ancienne appelait la firma facilitas.
Certes, la mémoire est autrement plus percutante, plus « voyante », quand elle est éloignée de l'écrit. En témoigne, entre autres, l'extraordinaire autonomie des orateurs aveugles par rapport à la graphie. En témoignent aussi les histoires incroyables racontées sur les prouesses orales des anciens Arabes. L'on rapporte, par exemple, que Abu Jaâfar Al-Mansour, le fondateur de Bagdad, était capable d'apprendre par cœur un poème après l'avoir écouté une seule fois et quelle qu'en soit la longueur.
Reste que la mémoria, au sens même qu'elle avait en rhétorique classique, n'était pas seulement une faculté d'amasser et d'accumuler des connaissances. Elle a toujours eu, au contraire, le sens dynamique d'apprentissage de la mémoire. Il ne s'agissait pas uniquement d'enregistrer des idées dans le cerveau, mais d'entraîner la mémoire, d'en développer les facultés, de savoir mémoriser d'une façon organisée et cohérente, de savoir conserver les contenus puis les récupérer le moment venu.
Ne sont-ce pas là des termes très proches de ce qui se dit, aujourd'hui, de l'ordinateur et du disque dur ? Parle-t-on même, actuellement, d'accessoires informatiques, de réseau internet, de téléphone portables ou de Iphones autrement qu'en termes de mémoire ?
Qu'il s'agisse de discours écrits, de livres, ou de documents enregistrés sur ordinateur, les vieux canons de la rhétorique dépendent de la mémoria, même si, avec l'actio, celle-ci est négligée par les nouvelles théories du discours. Même quand le discours est écrit, les trois autres parties mises en exergue ne peuvent exister sans la memoria.
Selon Barthes — qui nous a reconstitué toute l'ancienne rhétorique… de mémoire et intitulait justement son étude Aide-mémoire(1) —, l'inventio n'est pas une opération « créative mais extractive‑». On n'invente pas des arguments, on les trouve, ou plutôt on les retrouve dans la mémoire, réservoir des lieux et des topoï dont on doit se souvenir. Et la même chose est vraie de la dispositio et de l'elocutio.
Au-delà du discours, toute la culture, la connaissance, le savoir humain, peuvent-ils exister sans la mémoire ? Sous toutes ses formes, aussi bien anciennes que modernes, imprimées ou électroniques, cet écrit qu'il est de bon aloi d'opposer aujourd'hui à l'improvisation, n'est-il pas lui-même souvent entendu comme la métaphore de la mémoire ? N'est-ce pas lui qui conserve cette mémoire et la préserve de la perte et des avanies du temps ?
Mais il ne faut pas tomber dans l'autre travers qui consiste à faire des nouvelles formes de l'écrit un cache-misère de l'intelligence. L'ordinateur a tendance à tuer en nous la faculté naturelle d'improviser et de se souvenir, tout comme la saturation d'images aujourd'hui tue progressivement notre imagination. Le livre même, comme l'ordinateur et le réseau internet, devient un facile substitut de la mémoire et supplante l'improvisation. Les voies sont désormais ouvertes aux délits impunis de compilation et de plagiat. Et quand on est tout juste cuistre et un peu moins malhonnête, on devient le doctus cum libro. C'est-à-dire ne sachant être docte que par le recours systématique aux livres.
(1) Voir Communication 16, 1970. L'étude a été reprise dans L'Aventure sémiologique, Paris, Seuil, 1985, pp.85-165.


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