Soixante-seize députés ont signé la motion de destitution du président de la République. Plus d'un tiers des élus du peuple ont exprimé ouvertement leur désaccord vis-à-vis du président, de sa politique et de ses déclarations. Si la motion aboutissait, Moncef Marzouki serait mis en cause. L'accepte-t-il ? En bon président démocratique ? Ou bien le fait d'être auditionné par les députés, jugé devant les Tunisiens, sous les caméras, dans un débat transmis en live, le considère-t-il comme du «tatawol», cet acte irrévérencieux ? C'est lundi que le bureau de l'ANC communiquera sa décision quant à la motion de destitution visant le président de la République. Cette réunion prévue le premier jour de la semaine jugera si la motion est recevable. Si oui, la même réunion arrêtera les modalités de convocation du président, ainsi que la date de cette «extraordinaire» audition. Il faudra tabler sur la première ou la deuxième semaine du mois de mai. La motion en elle-même est conforme, précise à La Presse Karima Souid, assesseur à l'information et membre du bureau. «La décision attendue concernera davantage les dispositions à prendre qu'un arbitrage d'approbation ou de refus». Soixante-seize députés ont paraphé la motion. Et, jusqu'à hier, malgré les bruits qui ont couru, aucun d'entre eux n'a exprimé la volonté de se retirer. Il y a eu, par contre, un doublon, une députée avait signé par deux fois. D'où le chiffre de 77 signataires avancé le premier jour du dépôt. Par ailleurs, sept députés d'Al Aridha, qui ont fait croire avoir signé, alors qu'ils ne l'ont jamais fait, déposent une correspondance au bureau de la Constituante, ayant pour objet, comme le ridicule n'a jamais tué personne, le retrait sans délai de leurs signatures. Derrière cette imposture, un chantage à la petite semaine visant la présidence de la République pour être invités au dialogue national, selon les divulgations de certains députés. Quelle lecture peut-on faire d'un acte pareil, demandons-nous à Karima Souid. «Je vais donner mon avis en tant que députée, prend-elle soin de préciser, et non en tant qu'assesseur; ce sont des personnes qui n'ont pas de principes. Cela manque d'honnêteté et d'intégrité, et c'est de la roublardise, à la limite de la bêtise». Le bureau aura à traiter d'un autre chantier; un communiqué va être publié sous peu ou une conférence de presse sera donnée, «pour tirer les choses au clair sur les indemnités, résume la fraîche élue du Masser. On communiquera tous les éléments nécessaires et des chiffres, pour faire taire la polémique une bonne fois pour toutes». Quant à ladite motion, elle fait son bonhomme de chemin, au bonheur des uns, au malheur des autres. Mais, restons prudents, rien n'est encore joué. Cela dit, l'impeachment couleur locale, s'il passe le premier cap, finira par céder à la loi du nombre. Moncef Marzouki n'a rien à craindre tant qu'il est soutenu par le grand frère. Un génial chef d'orchestre conduisant quatre vingt-neuf voix réglées comme du papier à musique. En attendant, nous avons interrogé l'instigateur attitré de la motion, Samir Taïeb, et son adversaire attitré aussi, Imed Daimi. Chacun y va de sa lecture et de ses arguments, que nous vous exposons : Imed Daimi, secrétaire général du CPR : «Pour juger le président, il faut prendre du recul. Ceux qui ont su le faire, ce sont les médias internationaux» C'est un signe qui ne trompe pas que notre démocratie n'est pas en panne, comme certains veulent le faire croire. Nous avons eu un premier ministre qui démissionne, des coalitions qui se font et se défont. C'est une preuve que nous sommes en plein processus démocratique. Sur cet aspect, nous sommes satisfaits. En outre, le président aura une occasion en or pour s'adresser à tous les Tunisiens. Mais, sur le fond, l'argumentaire présenté par les députés sonne creux. C'est leur droit de présenter une motion, mais il n'y a aucune accusation réelle, ni grave telle une trahison d'Etat, par exemple. C'est pourquoi la démarche est plus politicienne, et vise à toucher la personne du président de la République qu'autre chose. Il y a certains politiciens qui sont mal à l'aise face au rôle grandissant du président, malgré le peu de prérogatives qu'il a sur le papier. Il est choisi parmi les 100 personnes les plus influentes du monde. Donc, pour juger le président, il faut prendre du recul. Ceux qui ont su le faire, ce sont les médias internationaux et l'opinion internationale, soustraits aux tiraillements qui minent la scène locale. On cherche la faille au président et on lui sort ses propos de leur contexte. Quant à juger sur l'ensemble de l'œuvre du président, je ne pense pas que certains députés, qui cherchent la moindre occasion pour dénigrer le rôle du président, soient capables de le faire. Pour ce qui est des instituts de sondage, ce sont généralement les mêmes qui nous donnaient juste avant les élections perdants avec un score de 2%. Seulement voilà, on était classés deuxièmes. Ces instituts continuent dans le déni de la réalité et tentent d'influencer l'opinion publique. Il faut qu'ils fassent plus d'efforts pour que les Tunisiens cautionnent leurs sondages. Oui, le CPR est passé par des moments difficiles, qui ont été bénéfiques pour nous et nous ont renforcés. Nous sommes plus homogènes, plus forts, plus soudés. Je n'ai jamais essayé d'influencer les députés pour qu'ils retirent leurs signatures. C'est un mensonge monté de toutes pièces. On est habitué à cela. Mais je dois vous dire que le président est prêt, ce sera une occasion importante pour lui pour s'adresser au peuple tunisien. Samir Taïeb, député du groupe démocratique, porte-parole du parti Al Massar : «Le président sera auditionné pour l'ensemble de son œuvre» Il n'y a aucune raison pour que la motion ne passe pas. En fait, le président doit venir pour répondre à nos questions. Il y aura une intervention pour exposer les motifs de cette démarche. Le président sera jugé pour l'ensemble de son œuvre. Sinon, il faut d'abord se rendre compte que c'est une première dans l'histoire de la Tunisie qu'un président de la République soit convoqué à l'Assemblée. On rasait les murs quand l'ombre du président passait avant la révolution. Ce sera un grand moment de la révolution, indépendamment de tout. Et ce sera un signe fort pour le futur président, qui aura à gouverner sur cinq ans. Il doit savoir qu'il ne peut pas tout faire, tout déclarer en toute impunité. Le pouvoir législatif exercera son pouvoir de contrôle, il est dans son rôle. De plus, dans la culture politique des Tunisiens, ce sera un moment extraordinaire. L'audition de la ministre de la Femme était pour moi un succès. Sihem Badi a reconnu avoir obtenu l'appui du gouvernement et des aides, grâce à ce débat. Pour ce qui est de l'issue, le président sera normalement reconduit. Les 109 sont difficiles à obtenir pour les uns comme pour les autres, même si nous pensons que le score sera serré. Et je dois dire que beaucoup d'élus, même d'Ennahdha, voulaient signer la motion, mais ils ont fait prévaloir les nécessités partisanes. Toutefois, ces calculs restent secondaires, nous ne voulons pas créer un vide. Mais il faut que Marzouki sache qu'il n'est pas libre de tout dire. Au final, nous voulons élever le niveau du débat politique et des institutions. Il faut que les Tunisiens sentent qu'il y a un pouvoir législatif fort, qui a une fonction constitutionnelle de contrôle de l'Exécutif et qui joue son rôle. C'est l'article 13 de la petite constitution qui le stipule. On est en plein dans l'exercice démocratique.