Pr Jamel Trabelsi (Université Louis Pasteur Strasbourg) Le concept de développement économique n'a pas cessé d'évoluer depuis l'émergence de la théorie du capital humain qui constituait la principale référence des économistes. Le phénomène de la globalisation et les intégrations financières qui en résultent ont totalement révolutionné l'économie de développement pour le déloger de son environnement microéconomique vers un mode de raisonnement plus approprié à la théorie macroéconomique. Les critères de développement ne sont plus exclusivement liés au capital humain, mais aussi à la capacité d'une économie à se doter d'une structure financière solide et plus généralement de fondamentaux macroéconomiques sains et stables. Les pays asiatiques, certains pays d'Amérique latine ont connu leur décollage économique grâce, en grande partie, à l'attractivité de leurs environnements économiques. Les pays de l'Asie de l'Est ont réussi à s'inscrire dans la continuité, alors que des pays comme l'Argentine et le Mexique ont trouvé plus de difficultés à assurer la pérennité. Suivant cette nouvelle configuration, notre pays a réussi, grâce à la stabilité politique et le caractère attractif de notre environnement économique, à attirer les capitaux étrangers et à s'inscrire dans cette nouvelle dynamique. Cependant, il reste à franchir un cap important lui permettant d'assurer la pérennité de la croissance économique, une étape incontournable pour se hisser au niveau des pays riches. Franchir ce cap est notre objectif essentiel, mais sommes-nous capables de le réaliser à moyen ou à long terme ? Suivant quels mécanismes ? Le capital humain ne constitue plus la principale référence du développement économique, il doit être approprié aux exigences de l'appareil productif en qualité et en quantité afin d'assurer un transfert optimal de la technologie. En d'autres termes, le capital humain doit s'adapter à l'environnement économique et non l'inverse. Il est, par conséquent crucial d'adapter notre système éducatif aux exigences de la croissance économique. Les experts économiques affirment que les pays qui ne sont pas sur la frontière technologique doivent essentiellement développer l'enseignement professionnel. Cette orientation est incontournable pour rendre plus efficace et plus rentable notre système éducatif. De surcroît, nos formations pour tous les niveaux d'éducation doivent gagner en qualité. L'amélioration, en effet, de la qualité de l'ensemble de notre système éducatif constitue un défi majeur à surmonter. Notre activité économique est, en grande partie, propulsée par les investissements directs en provenance de l'étranger. Les avantages fiscaux et la souplesse de notre marché du travail ont constitué les principaux facteurs d'attractivité permettant l'implantation de plusieurs entreprises étrangères en Tunisie. Cependant, la globalisation et le démantèlement des barrières douanières ont généré l'émergence d'un monstre économique qui a totalement bouleversé l'échiquier économique mondial. La Chine a, en effet, monopolisé plusieurs secteurs économiques vitaux pour les pays émergents, les amenant, par conséquent à reconsidérer leurs stratégies économiques. Il est admis actuellement que notre pays ne pourra relativement plus s'appuyer seulement sur ses avantages comparatifs pour générer la croissance économique. La croissance exogène qui constitue encore notre principale stratégie doit être accompagnée d'une croissance endogène. Un dosage exogène/endogène approprié constituera le canal par lequel transiteront tous les mécanismes générant une croissance durable et solide. Ces mécanismes sont l'innovation et le développement régional. L'innovation constitue le moteur de la création de la richesse au sein des entreprises. C'est un processus complexe, incertain et risqué dont les retombées, en termes de productivités, sont conditionnées par l'accès au financement à l'innovation, la coopération recherche/PME et la stratégie régionale de développement de l'innovation. C'est autour de ces trois champs d'action, même s'il en existe d'autres, que doit s'articuler le débat sur l'avenir des entreprises tunisiennes en termes de croissance et pérennité. Le premier champ d'action constitue le premier obstacle des PME dans leur programme d'innovation. L'autofinancement ne permet pas aux entreprises de mener à terme leurs projets innovants, au contraire il fragilise leur développement. Le recours à d'autres sources de financement est incontournable ; cependant, les financements bancaires demeurent insuffisants, particulièrement pour les jeunes projets innovants. Le capital risque, les organismes publics… constituent des alternatives aux entreprises. La relation entre les PME et les sociétés capital risque est ambiguë et complexe. Les enjeux technologiques qui ne sont pas forcément évalués à leur propre valeur par les sociétés capital risque, et le frein culturel manifesté par les PME de perdre le contrôle de leurs activités, constituent un obstacle au développent de la relation PME/sociétés capital risque. Il sera intéressant de réfléchir sur une coordination optimale entre les entreprises et ce type de sociétés afin de mieux accompagner les projets innovants. Les financements publics ne peuvent qu'accompagner d'une manière ponctuelle les entreprises innovantes dans leur développement. Cependant, il est crucial de lancer un dispositif d'investissement régional afin de multiplier les solutions de financement et de renforcer les capacités d'investissement. Malgré tout, la banque constitue le support financier essentiel des PME pour leurs programmes d'innovation. La proximité bancaire (Banking House) qui constitue le modèle allemand pourrait constituer une solution aux problèmes de financements des PME et surtout générer plus d'interactions et de proximité entre l'entrepreneur innovant et le banquier. Une implication optimale des institutions financières pourrait assurer à terme la pérennité des entreprises, une dynamique dans la durée de création de l'emploi et la génération de la croissance économique. Une forte concentration des entreprises, des universités et des laboratoires de recherche au niveau régional n'induit pas forcément des externalités positives. Les PME doivent se rapprocher des laboratoires et les doter des moyens financiers afin de bénéficier des activités de recherche et développement et assurer par la suite la pérennité de leur croissance. De leur côté, les laboratoires publics doivent sortir de leurs «bulles académiques» et intégrer la culture de l'entreprise pour mieux adapter leurs recherches aux besoins des PME. La stratégie régionale de développement de l'innovation est très importante dans ce dispositif. La politique régionale d'innovation consiste à mettre en place une veille technologique permanente afin de permettre aux PME de mieux anticiper les changements technologiques et assurer, par conséquent, leur pérennité. Les institutions régionales peuvent aussi assurer le pont entre les PME et les laboratoires de recherche par l'organisation de manifestations économiques suivant des thématiques par secteur d'activité. Il est de leur ressort de publier des statistiques portant sur le potentiel de la région en matière d'innovation. Le modèle de développement régional dans les pays avancés se base essentiellement sur le financement et l'accompagnement de l'innovation. Une solide structure financière s'articulant autour des systèmes bancaires publics et privés doit être accompagnée d'une animation appropriée assurant la passerelle entre les niveaux de conception et la réalisation de l'innovation. Il existe, en effet, des institutions régionales en France (les CRITT) qui assurent justement cette tâche en générant une parfaite synergie entre la recherche scientifique et l'environnement économique. L'amorce d'un tel processus de développement sera tributaire de notre capacité à mettre en œuvre ces mécanismes et ces canaux suivant une structure de développement régional bien agencée. J.T.