Il était temps que l'on se penche sérieusement sur la grande question des déchets solides dont l'entassement sauvage à tous les coins de rue des villes tunisiennes est devenu le cauchemar et la honte des Tunisiens. Rien n'a permis de venir à bout de ce phénomène qui a pris des proportions démesurées après les événements du 14 janvier, car il y a bien eu des tentatives de sauvetage de l'environnement urbain de ce qu'on peut appeler la dérive environnementale, mais en vain. Après les nombreuses et successives plaintes et mises en garde des citoyens et des médias tous genres confondus, les structures impliquées dans la collecte, le stockage et le traitement des déchets solides – l'Anged, les communes, les opérateurs privés et des associations — se sont enfin rassemblées, vendredi dernier, pour annoncer le démarrage d'un débat national sur la gestion des déchets solides. L'initiative revient à l'Agence nationale de gestion des déchets (Anged), la coopération allemande (GIZ) et Sweep-NET, réseau d'échange d'informations et d'expertise dans le secteur des déchets dans la région Mena. L'initiative vient au moment où la société civile à vocation environnementale se mobilise pour contester la suppression de l'instance du développement durable et des générations futures dans la 3e copie du projet de la Constitution et des semaines après la suppression — encore une autre — du ministère de l'Environnement dans le gouvernement d'Ali Laârayedh. Si sur le plan politique, ces décisions suscitent des inquiétudes dans la communauté des écolos, celle de lancer un débat national pour trouver des solutions au problème des déchets solides est, quant à elle, saluée. L'objectif de cette initiative tant attendue: l'élaboration d'une nouvelle stratégie à partir de l'évaluation et la révision de l'ancien système de gestion des déchets solides qui a été, à une époque, performant, mais qui doit être ajusté au nouveau contexte. C'est la crise ! En présence du nouveau secrétaire d'Etat et du président de la commission des collectivités locales à l'ANC, la première journée du débat national a été consacrée à l'examen du volet: enjeux politiques et institutionnels du secteur des déchets. D'emblée, le diagnostic de la situation, chaotique, est décliné : «La crise des déchets est une crise de confiance, une crise de communication, une crise de société et de citoyenneté». Résultat : des revendications sociales et sit-in en cascades, rendement des services municipaux en baisse, laisser-aller général et entassement des ordures dans l'espace public. Concrètement, décharges contrôlées bloquées dont Djebel Chakir dans le Grand-Tunis (50 jours) et Guellala à Djerba (depuis avril 2011), ainsi que le centre de gestion des déchets industriels à Jradou, aujourd'hui objet d'une bataille juridique entre la population et les autorités de tutelle; apparition de centaines de décharges sauvages, principes pollueur-payeur et pollueur-récupérateur, à la base d'une gestion durable et intégrée, non respectés, absence de sentiment d'appartenance à la zone communale, législation existante, renforcée au début des années 90, non appliquée. En dépit de l'existence d'un programme national de gestion des déchets (Pronagdes, 1993 et Prongidd, 2005, année de création de l'Anged), des défaillances existent et ont persisté : la gestion des déchets financée essentiellement par l'Etat (80%), le reste par les recettes fiscales, le secteur privé n'investit que dans la collecte et le transport, très peu dans le traitement des déchets. Cellule de crise Le débat national vient au moment où toutes les parties impliquées dans la gestion des déchets se trouvent dans l'impasse, où le sentiment d'urgence est général et que l'état de l'environnement urbain atteint un degré de dégradation inquiétant. Si bien que dès le premier jour de ce débat, des voix s'élèvent pour demander la création dans les plus brefs délais d'une cellule de crise au plus haut niveau de gouvernance. D'autres recommandent de créer une structure chargée du recouvrement des taxes municipales et une autre pour s'occuper exclusivement de la propreté et de l'hygiène du milieu. D'autres encore suggèrent la décentralisation de ces services en agences intercommunales régionales de gestion des déchets à l'échelle locale et régionale. Les rencontres programmées dans le cadre du débat national (dernier vendredi du mois) serviront à identifier les réformes à engager et à répondre à un certain nombre de questions : faut-il poursuivre sur la même voie (Prongidd ? Faut-il renforcer ou modifier le cadre légal et institutionnel ? D'autres questions devront également des réponses relatives aux performances économiques du secteur et aux systèmes de financement. Rendez-vous est pris pour le 24 mai, date de la 2e journée du débat national qui sera consacrée au volet communicationnel et à la sensibilisation aux questions liées aux déchets solides. A l'issue de chaque réunion, une note sur le sujet de la journée sera adressée aux décideurs afin de leur permettre de prendre les décisions adéquates. Les déchets en chiffres Déchets municipaux solides : 2,364 millions de tonnes en 2011 Déchets de soins : 16.000 tonnes par an Déchets industriels : 7,15 millions de tonnes par an Déchets industriels dangereux : 160.000 tonnes par an Entre 80 et 100% des déchets municipaux solides sont collectés en zone urbaine et entre 50 et 100% en zone rurale. 70% des déchets municipaux solides sont mis en décharge, 10% recyclés et moins de 5% compostés 9 décharges contrôlées sont actuellement exploitées, 2 bloquées (Djerba et Kerkennah), 2 entravées par des problèmes fonciers et 5 en cours d'étude. Toutes les décharges contrôlées font l'objet aujourd'hui de contestations. Composition des déchets municipaux solides : 68% matière organique, 11% plastique, 9% papier, 2% métal, 2% verre, 8% autres.