Dès que l'on quitte le centre ville, un spectacle surprenant attire le regard : celui d'une série de petits tas de gravats, déversés dans les terrains vagues, couvrant les espaces verts, bouchant les canaux d'évacuation des eaux de pluie. Les coupables sont ces camionneurs qui doivent transporter les gravats dans des lieux appropriés et qui les déversent n'importe où, pour gagner du temps et surtout de l'argent. Nous avons sillonné les environs de Tunis afin de découvrir l'importance du phénomène et l'ampleur des dégâts. Et c'est un sombre tableau qui s'est dessiné au fil des découvertes… A l'origine de ce problème, il y a la croissance démographique et l'expansion urbaine de ces dernières années, qui a créé des problèmes de gestion des déchets solides et des décharges sauvages, qui se sont multipliées, tant dans les milieux urbains que ruraux. Les décharges étaient pour la plupart sauvages et les déchets solides ne faisaient pas l'objet d'un tri avant d'être collectés. Pire encore : les déchets industriels et médicaux étaient souvent évacués avec les ordures ménagères.
Le Belvédère pollué
Cette situation n'est donc pas nouvelle et de nombreux articles de presse et autres reportages TV dénoncent régulièrement ces décharges sauvages. Ce qui est étonnant, c'est que les décharges sauvages continuent à polluer la vue et la vie des citadins de toutes les grandes villes… C'est le cas du Belvédère où des camions viennent déverser leurs détritus de jour comme de nuit. On y trouve des déchets industriels, des gravats venant des constructions ou des réparations des immeubles des environs, des objets usagés, allant du vieux frigo rouillé, à la machine à laver hors d'usage, en passant par le four, la télé explosée et les bouteilles fracassées… Ailleurs, en allant vers le lac de Tunis, des canalisations d'évacuation des eaux de pluie sont bouchées par des centaines de petits tas de gravats et d'ordures diverses. Une situation qui risque de provoquer un débordement des eaux de pluie sur les routes environnantes en cas de fortes précipitations. Le plus étonnant, c'est que l'origine de certains tas de gravats est facile à découvrir, puisqu'il s'agit de déchets industriels provenant des usines implantées dans la zone industrielle de la Charguia. Une enquête rapide permettrait de découvrir le responsable de ce déversement anarchique, que ce soit l'usine ou le camionneur qu'elle a chargé de transporter ces déchets… Pourtant des décisions fortes sont régulièrement annoncées par les autorités de tutelle : un programme de fermeture ou de réhabilitation des décharges incontrôlées a été mis en place et il devait en finir avec cette anarchie fin 2009. Or nous sommes à la veille de 2011 et rien ne semble marcher selon ces prévisions. Pire encore : un crédit de la Banque Mondiale de l'ordre de dix millions de dinars a été octroyé pour que des décharges soient fermées ou réhabilitées.
Dégradation de l'environnement
Or le problème n'a pas été résolu par cet investissement, il a simplement été déplacé vers d'autres zones, généralement à l'abri des regards indiscrets, appliquant le fameux proverbe tunisien qui dit que « le voleur a toujours le dernier mot face à celui qui le poursuit » ! Car ce qui est en jeu ici, c'est la dégradation de l'environnement, avec les mauvaises odeurs, les infiltrations d'eaux polluées dans les nappes souterraines, les moustiques et les mouches qui trouvent ici un terrain de jeu idéal, la décomposition des produits chimiques toxiques dégageant divers gaz dangereux pour la santé… Des conséquences graves occasionnées par le manque de responsabilités de certains individus qui ne cherchent que leur intérêt. Des décharges contrôlées existent, mais ces énergumènes les jugent trop éloignées de la ville et préfèrent la solution de facilité qui consiste à polluer le parc du Belvédère, seul espace vert digne de ce nom… Alors qu'ailleurs on procède à la revalorisation des déchets recyclables, chez nous on les jette à ciel ouvert, sans vergogne. Les déchets industriels sont estimés à 144 mille tonnes par an. Une centrale de gestion tente de les recycler grâce à un investissement global de l'ordre trente millions de dinars. Mais elle ne traite que 90 mille tonnes par an, sans compter les tonnes de déchets déversés par des camionneurs indélicats dans les terrains vagues. Et qu'en est-il des pesticides dont on sait bien peu de choses… Il y a certes un programme de partenariat avec la Banque Mondiale, la FAO et le Fonds Français de l'Environnement par le biais duquel la Tunisie a bénéficié d'un financement sous forme d'un don de sept millions de dinars, mais on parle peu des produits jetés un peu partout, que ce soit en ville ou à la campagne. Il faut savoir que deux millions de tonnes de déchets ménagers et plus de 200 mille tonnes de déchets industriels sont produites chaque année en Tunisie. Et l'Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGED) a beau se démener, les tricheurs parviendront toujours à trouver la faille. Ce qu'il faudrait donc faire, c'est de la sensibilisation, de la prévention et enfin de la sanction. Une forte amende serait-elle l'argument le plus dissuasif pour certains tricheurs…?