L'on a tous constaté durant des mois et déploré l'accumulation des déchets ménagers, hospitaliers, de démolition et autres sur les trottoirs et les places publiques, devant les hôpitaux et les écoles, jonchant les terrains vagues et la voirie. La situation est devenue intolérable au point qu'il y a quelques semaines, des unités de l'armée nationale ont été, l'espace de quelques jours, mobilisées pour nettoyer, temporairement, quelques zones «stratégiques» de la capitale, en prévision des risques d'inondation pouvant accompagner la saison des pluies. Mais, aujourd'hui encore, à quelques jours des élections, le paysage urbain demeure méconnaissable sans que l'on puisse délimiter clairement les responsabilités de chacun dans cette affaire. Pourtant, il faudra bien le faire un jour pour stopper l'anarchie. Au cours des derniers mois, des actes de destruction des équipements municipaux (40 MD de pertes) et la mise hors service d'un grand nombre de décharges contrôlées dans plusieurs villes tunisiennes (20% de tonnage en moins au niveau de la collecte et autant de tonnes de déchets errant dans la nature) ont déstabilisé le système de gestion des déchets en place. Les prochains jours, avec l'élection de l'Assemblée nationale constituante, les parties concernées par ce système devront tous ensemble se consacrer à la réparation, à la construction, à la réhabilitation de ce système de gestion qui représente un élément clé de toute stratégie de protection et de valorisation de l'environnement. C'est ce que Mounir Majdoub, expert en environnement à la coopération allemande GIZ, appelle «la responsabilité citoyenne», qui permet de conjuguer les efforts pour l'intérêt général. Mais encore faut-il comprendre le fonctionnement de ce système, ses forces et ses faiblesses pour savoir comment le remettre sur pied. Passivité générale C'est au cours d'un débat ouvert organisé, jeudi dernier, au Centre international des technologies de l'environnement de Tunis (Citet), sur l'état des lieux et l'avenir de la gestion des déchets en Tunisie, que le mot a été lâché : le système de gestion des déchets, avec ses trois composantes, la collecte, la mise en décharge et la valorisation, a été complètement remis en cause. M. Samir Meddeb, un autre expert, explique qu'au cours des événements qui ont marqué les neuf derniers mois, les communes ont subi d'importants dégâts : destruction de matériels, notamment de collecte, disparition des conseils municipaux et affaiblissement des structures administratives de contrôle. En même temps, sur le terrain, les décharges contrôlées de plusieurs villes du nord au sud du pays ont été fermées par des «sit-ineurs» qui ont empêché l'accès à leurs exploitants et le trafic des bennes de collecte. Si certaines municipalités ont tenté, malgré tout, de faire leur travail, d'autres ont sombré dans l'impuissance et l'inaction après la destruction totale ou presque de leurs matériels (municipalité de l'Ariana). Pour l'expert, si le système de gestion qui existe depuis 1996 n'a pas réussi à résister à ces perturbations, cela signifie que «le niveau d'ancrage de ce système auprès des citoyens, des producteurs de déchets et de l'administration est faible». Autrement dit, ni le citoyen, ni le producteur de déchets (industriels en l'occurrence), ni l'administration n'ont le sentiment d'être concernés directement par ce système. D'où un sentiment général de passivité à l'égard du devenir des déchets une fois sortis du domicile, de l'usine ou du bureau. Et d'expliquer encore que le citoyen n'a pas confiance dans les responsables communaux, les industriels estiment être injustement surtaxés et l'administration est paralysée par le dirigisme politique. Solutions audacieuses Selon M. Samir Meddeb, le système de gestion a été détourné de sa mission initiale. Cette dernière visait initialement trois objectifs majeurs : la réduction des quantités de déchets produites, la valorisation maximale (tri, traitement et transformation) des déchets produits et l'enfouissement des déchets ultimes (non recyclables). Le constat, fait aujourd'hui, indique que ce système a été appliqué à l'envers, c'est-à-dire qu' «on a commencé par la 3e étape et complètement ignoré la première», précise-t-il. D'où la fragilité de ce système qui, théoriquement, est performant et moderne, mais demeure à la merci de la bonne volonté de ses acteurs. Comme la décharge de Jradou, à Zaghouan, ou d'Errahma, à Nabeul. Cette dernière est encore «gardée» par les habitants de la région jusqu'à satisfaction de leurs revendications qualifiées de légitimes par M. Ridha Brahim, directeur des études et des travaux à l'Anged et des représentants d'ONG, en l'occurrence M. Morched Garbouj, de SOS Biaa. Les occupants de la décharge exigent que des mesures urgentes soient prises pour stopper les nuisances engendrées par cette décharge dont le bruit incessant des bennes, l'éparpillement des sachets en plastique et, surtout, les odeurs nauséabondes dégagées par le lixiviat, liquide perdu par les déchets organiques fermentés. De ce diagnostic franc, le débat a débouché sur des recommandations à court, moyen et long terme, pragmatiques et même audacieuses. La plus pertinente suggère que la tutelle des communes soit transférée au ministère du Développement régional. Les autres solutions proposées recommandent la décentralisation des compétences et surtout des moyens financiers, la réhabilitation du principe du pollueur-payeur, la transparence dans l'information sur la situation des municipalités et l'instauration d'une tradition de communication environnementale. Du côté de l'Anged, on promet que, pour le court terme, une commission indépendante va voir le jour prochainement pour tenter de régler la question de la décharge Errahma. Par ailleurs, des fonds conséquents ont été mobilisés par le ministère de l'Intérieur pour renouveler le parc des communes sinistrées et, en attendant, pour leur permettre de louer des engins de collecte des déchets. L'un des grands avantages que les Tunisiens vont tirer de la révolution est le fait que, dorénavant, ils sauront tout, ou presque, sur ce qui se passait avant le 14 janvier 2011 et comment étaient gérées les affaires publiques, comme le système de gestion des déchets en place. Avec l'espoir qu'ils n'auront plus de problèmes d'ignorance des vérités.