Les livres ont perdu au fil des ans de leur valeur pour beaucoup de Tunisiens. Vendus à 1 dinar seulement, des livres neufs ou anciens traitant de la littérature, des sciences ou de l'innovation sont amassés chez les quelques bouquinistes de Tunis sans que personne ne daigne même les feuilleter. Rares sont, en effet, les férus de la lecture qui fréquentent, de nos jours, ces vendeurs de livres anciens dont le nombre se compte sur les doigts de la main. Certains bouquinistes ont été obligés d'intégrer de nouveaux produits — qui n'ont rien à voir avec la lecture — pour pouvoir rentabiliser leur commerce. Ils commercialisent, ainsi, des gadgets pour les élèves ou des fournitures scolaires à bas prix venant tout droit de Chine. L'un des bouquinistes estime que «les livres para-scolaires, même anciens, sont les mieux vendus parmi les livres exposés». Pourtant, les visiteurs ont à leur disposition des auteurs qui ont marqué leur époque dans divers domaines comme Victor Hugo, Lamartine, La Fontaine, André Gide pour ne citer que quelques auteurs français dans le domaine de la littérature. De petites affaires mercantiles Notre bouquiniste explique ce manque d'intérêt par «la multiplication des moyens d'information et de communication qui ont réalisé des progrès importants. Avec son ipad, son téléphone portable ou son mp4, le jeune est occupé tout le temps, ce qui ne lui permet pas de lire». La télévision avec ses centaines de chaînes satellitaires ainsi que l'internet avec ses réseaux sociaux n'ont laissé aucune chance à la lecture des romans, des encyclopédies et autres livres scientifiques ou techniques. Les bouquinistes constituent leur patrimoine de livres grâce à l'apport de citoyens qui veulent se débarasser des anciens livres achetés dans le cadre de leurs études ou tout simplement pour se distraire et apprendre quand la lecture avait ses lettres de noblesse. Aujourd'hui encore, plusieurs citoyens fréquentent les bouquinistes non pas pour acheter mais pour vendre essentiellement des livres para-scolaires ou des magazines de mode, d'information et d'informatique. Le bouquiniste accepte volontiers l'achat de ces livres ou magazines à condition de fixer lui-même les prix. Le citoyen est obligé d'accepter le prix — qui est souvent très bas — pour se débarrasser du surplus de papier imprimé qui constitue déjà un fardeau. Ainsi, une vingtaine de magazines de mode, à titre d'exemple, sont vendus pour seulement deux dinars. C'est à prendre ou à laisser. Le bouquiniste justifie son prix par le fait que «les acheteurs se font de plus en plus rares et que les livres ou magazines restent des mois sur les étals sans que personne n'y prête attention». Quand le client intéressé s'intéresse à un magazine, le prix annoncé par le bouquiniste est de 1 ou 2 dinars! Autement dit, en vendant un seul magazine, il est possible de récupérer le somme dépensée pour l'achat d'une vingtaine. Ainsi, le bouquiniste tire bien son épingle du jeu et fait de petites affaires mercantiles. Des livres des bibliothèques en vente Les bouquinistes disposent de livres de grande valeur qui datent du début du siècle passé. Même si les feuilles sont jaunies par l'effet du temps, ces livres peuvent encore être utilisés. Aucun traitement n'est évidemment fait à ces livres pour les préserver et les protéger des mites et autres effets nocifs. Ils sont entassés quelque part dans des placards ou armoires en attendant qu'un lecteur averti vienne les chercher et en profiter pour améliorer ses connaissances ou se rappeller des anciens chef-d'œuvres qui moisissent sous le poids du temps et de l'oubli. En général, le bouquiniste fixe le prix de vente selon la tête du client. Plus celui-ci a l'air de s'intéresser au livre, plus le prix affiché est élevé. Pas question, en effet, de faire un rabais ou de marchander sur un livre scientifique, par exemple, que le client tient absolument à avoir. Le bouquiniste conseille à son client potentiel de profiter rapidement de l'occasion car un tel livre est aujourd'hui indisponible. En outre, la provenance des livres est douteuse dans la mesure où l'on constate, parfois, des cachets des bibliothèques connues — dont celles qui relèvent des lycées, de Charles de Gaulle — sur les premières pages. Cela explique clairement, que celui ou celle qui a emprunté le livre n'a pas daigné le restituer à la bibliothèque préférant le garder puis le vendre. Si quelques bouquinistes disposent de leur local, d'autres se contentent d'écouler leurs livres en plein air ayant pour tout étal quelques cartons étalés à même le sol. Les passants s'arrêtent pour feuilleter les livres et magazines avant de se décider à acheter. A la rue des Tanneurs, par exemple, ce type de bouquinistes est présent avec force. Quand les conditions climatiques sont défavorables, ces vendeurs marquent une pause et ne reviennent que plus tard, quand le soleil est de nouveau rayonnant. C'est vrai que ce métier ne permet pas de faire de grandes recettes et de payer un loyer aussi bas soit-il. D'ailleurs, les locaux de fortune qui servent de lieux de commerce sont, à l'origine, des maisons d'habitation. Ces locaux visités sont mal entretenus et peu aérés. Il semble que les commerçants qui les exploitent ne veulent pas investir de grandes sommes dans les petits travaux de restauration vu les recettes médiocres provenant de la vente de livres anciens, de publications qui ne sont pourtant plus disponibles dans le commerce et dont les maisons d'édition n'existent plus, de livres dont certains comportent des annotations de la main même de l'auteur. Bref, un patrimoine à revaloriser et à sauver de l'oubli et de l'abandon.