* Ils font monter les prix, parfois plus chr que dans les librairies huppées Les bouquinistes de Tunis semblent avoir parfaitement assimilé la loi économique de l'offre et de la demande. Qu'ils exercent dans des boutiques ou à même les trottoirs, ces commerçants tendent dès l'approche de la rentrée scolaire à majorer excessivement leurs prix jusqu'à vendre leurs marchandises parfois plus cher que les librairies les plus huppées de la capitale. Tout récemment, nous sommes allés chez l'un des bouquinistes spécialisés à la recherche de romans français programmés par un établissement universitaire de chez nous. Nous avons effectivement pu retrouver trois des titres qui nous manquaient dans des éditions habituellement abordables. Les livres étaient presque neufs mais ils ne pouvaient à cette heure, comme vous pouvez le deviner, sortir tout droit de l'imprimerie. Les prix auxquels ils étaient proposés étaient indiqués sur une étiquette placée au dos de chaque ouvrage, mais nous ne nous en sommes aperçu que lorsqu'à la caisse, le marchand nous l'apprit. 12 dinars pour le premier, 10 pour le deuxième et 7 dinars 500 pour le dernier ! Sur l'instant, nous eûmes envie d'aller vérifier à l'entrée si nous étions en présence d'un libraire ou d'un bouquiniste. Mais le commerçant crut bon, pour nous épargner cette peine, de justifier ses tarifs en nous disant qu'il a acheté lui-même ces livres presqu'aussi cher. Or, il a sans doute oublié que nous étions parmi ses clients les plus fidèles et qu'il n'y a pas longtemps, il nous permit d'assister à l'une de ses " négociations " directes avec les revendeurs de livres d'occasion.
Butin de filous Ce jour-là, son fournisseur vida à même le sol le contenu d'un grand sac qui renfermait au moins une cinquantaine d'ouvrages pour la plupart en bon état. Nous en avons choisi un qui semblait venir tout droit des rayons d'une grande librairie. Comme on était en fin d'année scolaire, il nous l'offrit à 5 dinars alors que son prix réel dépasse les 20 dinars. Pour revenir aux " négociations " avec le fournisseur, nous nous rappelons que ce dernier ne reçut en fin de compte que 65 dinars pour l'ensemble de la marchandise rapportée. 50 livres en excellent état pour cette somme dérisoire, voilà comment nos bouquinistes traitent avec leurs fournisseurs en mal d'argent. Mais au moment de vendre, c'est une autre logique qui prévaut chez eux. Ils vous parlent en outre de leurs charges multiples et insupportables, de la raréfaction des acheteurs assidus, des stocks invendus et de bien d'autres arguments pour justifier leurs tarifs élevés. L'un d'eux osa même ajouter sur son enseigne qu'il vendait aussi des livres neufs alors que la marchandise visée fut probablement achetée à des filous de librairies et de bibliothèques publiques ou scolaires.
Spéculation Qui contrôle ces commerçants qui paraissent plus informés des nouveaux programmes universitaires que les professeurs et les étudiants eux-mêmes ? En effet à chaque nouveau changement, ils actualisent leur fonds et leurs tarifs en fonction des titres de la nouvelle rentrée. Curieusement, le prix des romans de l'exercice précédent connaissent une réduction notable et ne manquent plus sur les étalages. L'été dernier, Le Diable au corps de Radiguet avait disparu complètement du circuit et n'est réapparu qu'en septembre pour être vendu au double de son prix habituel. Cette saison, il ne figure sur aucun nouveau programme, c'est pourquoi ce titre est disponible partout. Mais il y a un titre de Zola que nous cherchons depuis fin juin et dont nous ne trouvons pas la moindre trace chez ces revendeurs alors que, durant l'année écoulée, nos regards croisaient quotidiennement des dizaines d'exemplaires de ce roman aujourd'hui introuvable. Ce qui est sûr c'est que le stock n'est pas épuisé. Simplement, on a fait disparaître les exemplaires disponibles pour spéculer sur leurs prix à la rentrée, parce que ce titre précis va être très demandé au mois de septembre. On opère de la même manière dès qu'il s'agit d'une forte demande concernant un ou plusieurs articles précis. Le comble, aujourd'hui, c'est qu'il n'est plus possible de marchander avec les bouquinistes. Ils mettent presque tous des étiquettes sur lesquelles figurent des prix plus fixes que la statue d'Ibn Khaldoun sur l'Avenue Bourguiba. Vous avez beau les supplier pour qu'ils consentent une relative ristourne, vous pouvez aussi railler autant que vous voulez leurs tarifs excessifs, ils ne vous regardent même pas et c'est heureux qu'ils n'aillent pas se plaindre au premier commissariat.
Un commerce pas très net Nos bouquinistes se prennent désormais pour des antiquaires professionnels et pour de fins connaisseurs face aux " objets précieux " qu'ils vendent. Aujourd'hui, ils expliquent la cherté de leur marchandise entre autres par la renommée de la maison qui a édité le livre. L'année dernière, Les Contemplations de Victor Hugo dans Garnier-Flammarion était proposé à 14 dinars chez les bouquinistes et à 18 chez les libraires. Nous l'avons finalement acheté dans une édition locale à seulement 5 dinars. Et c'est à ce prix-là que notre bouquiniste de tout à l'heure le propose toujours en cette fin de juillet 2009. Quand il s'agit d'un livre de poche, il vous montre sur la couverture un code selon lequel la maison mère fixe son prix, comme si ce fripier de la culture ramenait sa marchandise des librairies parisiennes du Quartier Latin. Nous ne sommes pas remontés contre les bouquinistes, mais nous demandons à ce qu'ils modèrent leurs prix. Parce qu'après tout, tout le monde sait que leur commerce n'est pas très net et que si l'on dépoussiérait un peu leur dossier, il y aurait assez de matière pour écrire un gros, un très gros bouquin !