Par Soufiane BEN FARHAT Les paradoxes font avancer l'histoire, et non point les diktats aveugles des tyrans. Heureusement que les destinées des hommes cheminent par moments grâce aux grimaces du destin. Les dirigeants israéliens doivent le ruminer à leurs dépens. L'assaut meurtrier et sanglant de l'armée israélienne contre la flottille des humanitaires pacifistes avait un but manifeste: défendre le strict blocus imposé à la bande de Gaza depuis 2007. Mais le cours des choses est par essence imprévisible. Il ne saurait se plier à la seule folie meurtrière de la soldatesque déchaînée. Le résultat patent s'apparente à un véritable tête-à-queue navrant. En raison du tollé international suscité par cet acte de piraterie sanguinaire d'un autre temps, le raid pourrait bien accélérer la levée du blocus de Gaza. Pas plus tard qu'avant-hier, Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a estimé que le blocus de Gaza par Israël doit être "levé immédiatement". Ce blocus est "contre-productif, intenable et immoral. Il punit des civils innocents. Il doit être levé immédiatement", a-t-il ajouté. Plusieurs pays et organisations internationales, même parmi les alliés d'Israël, ont adopté la même attitude. D'ailleurs, raid meurtrier ou pas, Israël se retrouve complètement hors-jeu dans l'affaire du blocus de Gaza. Le blocus hermétique était destiné à fragiliser puis déloger le Hamas, islamiste, au lendemain de son raz-de-marée électoral aux législatives aux dépens des nationalistes laïcs du Fatah. Il n'en fut rien. Israël enrage. Israël persiste et signe. Il s'avise à forcer un destin qui tarde à voir le jour, en mettant la baïonnette à l'ordre du jour. Il a décrété une guerre meurtrière contre la bande de Gaza au cours de l'hiver 2009. De crimes de guerre à massacres en règle des populations civiles, l'opinion internationale s'en est tragiquement ressentie. Le Hamas n'en fut guère fragilisé ou son avenir politique hypothéqué pour autant. Et les images du carnage systématique, un mois durant, firent le tour de la planète. La bande de Gaza a été livrée à son triste sort. La pauvreté des Gazaouis s'est multipliée par dix. Ses effets pervers se sont fait ressentir au-delà des frontières hermétiquement cadenassées par l'armée d'occupation israélienne. Encore une fois, Israël a l'illusion de gagner sur le terrain mais perd la plus stratégique des batailles : celle de l'image. Celle dont dépend la légitimité au bout du compte. Ce faisant, Israël n'a de cesse de se délégitimer aux yeux de tous, alliés autant qu'adversaires. Lundi dernier, Israël joue son va-tout. A en croire ses chefs de guerre, il fallait sévir. C'est-à-dire briser net toute velléité d'allègement ou de remise en cause du blocus de Gaza. Les images du raid meurtrier dans les eaux internationales ont, encore une fois, porté un sacré coup à l'image d'Israël. Image ? Disons plutôt les lambeaux qui en restent, maculés du sang des innocents. Et aujourd'hui, tout le monde se rend à l'évidence : il faut forcer Israël à lever le blocus de Gaza, ou du moins à l'alléger considérablement. Même les Etats européens, qui s'étaient rangés du côté d'Israël sur Gaza avec zèle et fiel s'y sont détrompés. Les classes politiques inféodées à Israël et à ses redoutables réseaux politiques, médiatiques et de grenouillage doivent bien tenir compte de l'état de l'opinion. Analyste à l'Université du Michigan, Scott Atran est catégorique : "L'attaque contre une mission humanitaire ne fera qu'aliéner un peu plus la communauté internationale à Israël et l'isoler". De son côté, le Hamas se frotte les mains dans l'ombre. D'enthousiasme et par désir de compensation, assurément. En effet, on a donné mille fois le mouvement islamiste pour mort. Niet. On a présumé quelque soulèvement à son encontre des larges masses affamées et saignées à blanc. Niet de niet. On a escompté l'isoler politiquement pour le réduire à une simple secte traquée maximaliste. Niet puissance trois. Les dirigeants du Hamas jouent désormais dans la cours des grands, à commencer par la Russie de Poutine-Medvedev et quelques puissants acteurs régionaux, de l'Iran à l'Arabie Saoudite, en passant par les Etats du Golfe. Avec le raid contre les bateaux des militants pacifistes, Israël escomptait donner le coup de maillet au Hamas. Eh bien, c'est le contraire qui se vérifie. Le mouvement semble avoir accéléré le processus de réconciliation avec le Fatah du Président palestinien Mahmoud Abbas. Avec tous les résultats escomptés à moyen terme que cela suppose. La large implantation des réseaux du Hamas en Cisjordanie occupée devient dès lors une affaire de quelques mois. Et Israël sera forcé de faire avec. A ses risques et périls. Tel un faisceau d'indices, tous les faits plaident en porte-à-faux du maintien du blocus de la bande de Gaza. Et ledit porte-à-faux déborde bien au-delà de la question gazaouie proprement dite. Moralité de l'histoire : les plus forts ne sont pas forcément les gagnants. Et l'histoire privilégie précisément les déshérités. Ceux que Frantz Fanon appelait les damnés de la terre.