La danse contemporaine a l'avantage de puiser dans le riche héritage des formes artistiques qui l'ont précédée et d'y trouver ses repères. A la fois savante et humaine, elle est comme une nouvelle recette de cuisine, une cuisine du monde, que l'on sert avec générosité, la peur au ventre ne sachant si cela va plaire. Dans cet art, il y a pourtant des mets très intéressants que l'on goûte avec plaisir. C'était le cas vendredi dernier où Tunis capitale de la danse a offert au public, entre autres, deux spectacles, l'un devant le Théâtre municipal et l'autre à l'intérieur de la Bonbonnière. C'est vers 19h00 que les gens ont commencé à se rassembler autour des trois danseurs de la compagnie française Manifeste. Leur performance est un Point de vue sur coin de rue. Deux hommes et une femme commencent à bouger doucement, en harmonie. Puis, chacun entre dans sa propre transe. On appelle un taxi, on s'impatiente pour un rendez-vous, c'est l'attente que leurs corps expriment, sur fond d'une musique minimaliste. Ensuite, c'est la rencontre, les sourires, échanges et conversations. Le soleil dans leur chorégraphie se couche en même temps que celui de Tunis. La nuit, les âmes rampantes, alourdies par des corps fatigués de la journée se réfugient dans les coins. Au petit matin, les corps s'aventurent dans les transports en commun, oscillent et vacillent pour se partager l'espace. Dans le public, une dynamique se crée en réaction à ce spectacle. Il y a ceux qui prennent des photos et des vidéos, d'autres interprètent les signes et mouvements des danseurs. Entre le petit garçon qui veut regarder jusqu'au bout mais que son père emmène, et le jeune étonné et concentré mais que ses amis, non intéressés, demandent à partir, il y en a sûrement un qui va revenir. C'est ainsi qu'un public se crée et que les artistes de demain reçoivent leurs révélations. La chorégraphie se termine au bout d'une demi-heure, dans une ambiance de marché hebdomadaire, installée par les pas des danseurs et leurs paroles, et sous les applaudissements du public. La compagnie Manifeste est porteuse, apprend-on, de plusieurs projets qu'elle mène à terme et présente «chez elle» à Toulouse, avant d'envahir d'autres espaces en France et à l'étranger, grâce au soutien du Conseil régional auquel le groupe rend hommage. Sans transition, on passe à l'enceinte du Théâtre municipal où nous attend le Tunisien d'origine algérienne Ahmed Khemis de Jawal Compagnie. Ce danseur a mis entre parenthèses une carrière chez le grand chorégraphe Akram Khan pour voler de ses propres ailes et propose Le voyage de Bou Saâdia. Pour ce voyage particulier, il danse derrière un voile transparent qui tamise la lumière de la scène. La réflexion sur le personnage folklorique de Bou Saâdia a comme supports le corps du danseur mais aussi la musique. Dans le costume de Ahmed Khemis, on retrouve les couleurs de ceux de Bou Saâdia, mais avec une touche contemporaine, comme si pour dire que son voyage pouvait le mener à devenir un danseur de Hip-Hop. On retrouve dans cette chorégraphie l'âme du danseur de Stambeli que son périple mène d'une place publique à une autre. On peut suivre les traces de ce périple sur ce que porte Bou Saâdia et sur ce qu'il fait, et l'imaginer grâce aux fusions dans la musique qui l'accompagne. La recherche musicale est l'un des points forts de ce spectacle, où le passage d'un genre musical à un autre est tellement fluide, qu'on dirait que toutes les musiques du monde sont nées à partir de la même note. Ainsi, de la musique indienne naît le luth, du cocon du Stambeli sort le nay et le chant spirituel. Le voyage de Bou Saâdia lui fait un tour du monde en 40 minutes. Un tour du monde sans décalages horaires!