Le 11 mai au 4e art, Imed Jemaa était au rendez-vous avec son nouveau spectacle coproduit avec le Théâtre national et le Goethe Institut. C'est dans le cadre du Théâtre Demain, un projet germano-tunisien que la première de «Sala» a été donnée. De «Hala» (galère), le dernier spectacle de danse de Jemaa qui a été représenté il y a un mois, jusqu'à «Sala» (salle), on remarque que l'approche du chorégraphe est visible : elle s'inscrit dans la transcendance du corps qui dépasse les états, afin de franchir les frontières entre les salles intérieures et extérieures, c'est-à-dire entre ce qui nous habite et nous persécute sans que nous en soyons conscients et le monde qui nous entoure et nous enclave de ses disgrâces. Dans ces enchevêtrements, la danse serait un hymne sensationnel contre toute forme de décadence, de médiocrité et de bassesse, puisque comme le confirmait Maurice Béjart «la danse, un minimum d'explication, un minimum d'anecdotes, et un maximum de sensations». Le salon de la médiocrité Dans ce spectacle, les codes sont difficiles à déchiffrer: le metteur en scène rencontre parfois des failles dans la dramaturgie corporelle et tombe dans la redondance avec ses jeunes danseurs. D'ailleurs, on retrouve quelques chorégraphies qui font écho avec le dernier spectacle «Hala». Petit clin d'œil pour le rappel, ou bien des gestes qui leur collent à la peau? Toutefois, avec cette lumière bleue qui connote l'angoisse et ces fenêtres fermées, sur elles-mêmes et sur nous autres spectateurs, les tréteaux arpentés par ce groupe de danseurs ont réussi à ouvrir une pièce importante dans l'histoire du monde moderne, qui est manifestement : la technologie. Le corps erre d'une salle à une autre : on rencontre à ce moment-là les emballages de télé, les machines, les paquets d'ordinateurs, les récepteurs qui envahissent la scène du monde, toutes ces caisses nous rendent aliénés et discordés de la vraie vie. Ce voyage de salle en salle nous ramène diligeamment à la salle de sport. En fait, dans cette salle, on voit les métamorphoses : tantôt une salle d'attente où le corps est dans l'expectative d'un instrument qui le façonnerait, tantôt une salle de spectacle. Celle-ci est conçue de fragments et sa manière d'exposer le désir d'évasion et de fuite est frappante. Le spectacle présente alors une fille qui arpente les lieux avec sa petite valise et dont l'envie de décamper, de partir vers d'autres espaces plus ouverts et plus éclatés est entrecoupée par la marche collective rapide qu'effectue le reste des danseurs. Est-ce l'effet de la technologie sur nous, entraînant le conformisme et le suivisme qui définissent le «troupeau» ? N'est-ce pas aussi une traduction de cette envie de voler, de flotter sur les espaces profanes ? Mais enfin, courir derrière quoi, derrière qui ? Derrière le temps qui nous fuit, nous suit et nous alanguit. Dans ce va-et-vient, on est donc tiraillés entre le progrès et le vrai, entre l'artificiel et le réel, entre le médiocre et l'art... Seule la danse est ainsi salvatrice et seul l'art est grand. Là, on voit que chacun fait sa propre danse, s'éclate pour voyager d'un corps à un autre et d'une phrase organique à une autre, pour retrouver son rythme et son mouvement contre le chaos et le désordre. Ceux-ci sont discernés particulièrement quand on observe ces corps fixés sur des chaises et lorsqu'on voit le fond de la salle obscure s'ouvrir brusquement sur leurs crises, sur leur vibration intérieure et sur l'électricité du mouvement, transformant ce corps en une entité tendue, hérissée... Le ballet souterrain Et puis, quand la salle se transforme en un poste de police, où l'on interdit la danse, les danseurs se cachent sous le tapis qui devient leur cellule. Aussi, la scène devient-elle métaphoriquement une cave, un espace souterrain : une excavation qui intensifie l'image du cimetière. Ainsi, ces corps morts ne tardent pas à paraître dans la peau de fantômes, coupant le tapis en petits morceaux, le mangeant avec avidité. Le message est très explicite : la danse est vitale. Cependant, ce geste-là était trop souligné, car il ne suggère pas mais dit les messages sans aucun effort de recherche! Ce message nous rappelle G. Burge qui dit : «Pour moi, la danse est un aliment, quelque chose dont j'ai besoin, un peu comme l'air que l'on respire, la nourriture que l'on mange». Enfin, le danseur-fantôme qui habite l'espace doit interpeller le public qui est aussi l'unique spectre-spectateur des salles et des pièces de théâtre!