Par Abdelhamid Gmati Il n'est pas question de critique, ni de propos désobligeants ni, encore moins, d'insultes. Il s'agit seulement de rappels de certains faits qui restent têtus. Le président provisoire de la République vient, encore une fois, de focaliser l'attention générale. Lors du second round de la conférence nationale de Dialogue initié par l'Ugtt, M. Moncef Marzouki a déclaré dans son allocution d'ouverture : «Tout le monde doit faire des concessions nécessaires pour réaliser les objectifs communs, soit préserver l'unité nationale, construire l'Etat civil démocratique enraciné dans les valeurs arabo-musulmanes et donner une forte impulsion au progrès social, économique, scientifique et culturel ... Ce que les Tunisiens appellent de leurs vœux, c'est qu'il y ait moins de tension politique et sociale... Il faut accepter l'autre, qu'il soit moderniste, islamiste ou salafiste, en se gardant de le diaboliser...et tous les Tunisiens sous la bannière nationale doivent avoir les mêmes droits et obligations. On n'en attendait pas moins de la part d'un chef d'Etat, défenseur et garant de l'unité nationale et rassembleur. Tout le monde est d'accord sur ces principes. Mais deux autres propos, dans ce discours, ont créé la polémique. «Je ne comprends pas ni n'admets qu'une fille portant le niqab soit empêchée de passer les examens universitaires». Cela a déclenché une forte polémique, et un certain nombre parmi les participants ont quitté la salle en signe de protestation. Les huées ont fusé et les commentaires ont été parfois virulents. Le problème est que les conseils scientifiques élus ont refusé aux niqabées le droit à l'enseignement public, et que le Tribunal administratif a rejeté par deux fois la requête des niqabées. Les paroles du Président sont donc perçues comme une atteinte à deux institutions indépendantes. De plus, cela constitue pour certains une invitation à ne pas respecter la loi. On relève aussi que cette prise de position est contradictoire. L'an dernier, M. Marzouki avait déclaré au doyen de la Faculté de la Manouba, prise d'assaut par des salafistes, que «les hordes sauvages n'ont pas de place dans notre pays». Et il prend à contrepied M. Ali Laârayedh, alors ministre de l'Intérieur, qui affirmait le 30 janvier 2012 que «les règlements internes des universités doivent être respectés par tous» et que «le niqab n'a aucun rapport avec l'Islam et est étranger à notre société tunisienne». De plus, M. Marzouki, en bon universitaire qui se respecte, devrait savoir que l'université n'est pas seulement un lieu où on acquiert un savoir académique ; c'est aussi un lieu où les jeunes citoyens apprennent à se connaître, à confronter des idées et des convictions, à s'épanouir sur le plan personnel et social et à s'initier à l'exercice de la démocratie. Le second «couac» réside dans la dénonciation de ceux qui s'en prennent à sa personne et à l'institution de la présidence de la République : «C'est inadmissible, et ceux qui s'en rendent coupables en rendront des comptes, car les rouages de l'Etat revêtent une autorité qui doit forcer le respect de tous». Assurément, le président Marzouki n'admet pas la critique, voire la contradiction. Récemment, il avait fustigé les opposants à la Troïka au pouvoir, soulignant que «les anti-Troïka crèveront...» et brandissant la menace des «potences». Il avait même menacé ceux qui «s'attaqueraient au Qatar». Il a raison lorsqu'il met en valeur le respect des institutions. Cependant, ce respect doit être imposé par ceux qui dirigent ces institutions. Le peuple tunisien a une haute idée de la présidence de la République et la respecte. Mais c'est au président de nourrir ce respect par ses actions et ses déclarations. Et un président n'est investi de cette haute fonction que par le peuple, souverain. Il doit toujours rendre des comptes et accepter les critiques. Et il n'est là que pour un temps limité. A plus forte raison lorsqu'il s'agit d'un président provisoire qui n'a pas été élu au suffrage universel, et ne se trouve dans cette fonction que par un marchandage entre trois partis, relativement et momentanément majoritaires. Ce qui est, pour le moins étonnant, c'est qu'au début de son mandat, M. Marzouki avait affirmé qu'il «s'exerçait à la démocratie en acceptant toutes les critiques, même celles destructrices». Ce «couac» renvoie à la notion d'«offense au chef d'Etat» qui avait cours dans certains pays. En France, ce délit vient d'être (le 15 mai dernier) supprimé car contraire à la liberté d'expression. Cela veut dire que si le chef d'Etat s'estime insulté, il devra avoir recours aux incriminations de droit commun, comme l'insulte publique punie d'une amende. Le président n'est qu'un citoyen comme les autres et doit accepter que l'on critique ses décisions et ses déclarations sans préjudice pour la fonction. A l'origine, cette « offense au chef d'Etat» rappelle «le crime de lèse-majesté» si cher aux anciens rois qui se croyaient investis «souverains de droit divin». Cela n'a plus cours, et un président n'est investi que par le peuple souverain qui peut en toutes occasions renvoyer son élu à ses activités de simple citoyen. M. Marzouki le sait certainement et on pourrait dire que, pris par l'excitation du moment, sa parole a dépassé sa pensée. Comme il l'a déjà dit lui-même «bonté divine ! ».