La première fois c'est un lapsus, «safirates», la deuxième fois c'est une maladresse, la troisième fois c'est une bévue. Mais quand ça se renouvelle tout le temps, c'est quoi ? Beaucoup ont fait les frais des sorties discursives de Monsieur le Président. Les dernières déclarations : «Les anti-Troïka crèveront...» ou encore «...les potences seront installées» ont jeté un froid dans la classe politique. La Tunisie aurait-elle un président doublé d'un Moncef droit-de-l'hommiste et d'un Marzouki président ? Celui de l'écrit, et un autre plus enclin à l'oralité ? Le président alterne dans ses discours le propos réfléchi et retenu et un verbe impulsif. Le décalage est grand entre la posture qui se veut présidentielle et mesurée, et celle d'un homme en proie à son émotivité. Ainsi, le président de tous les Tunisiens, lors de son récent déplacement en Allemagne, a fustigé les anti-Troïka, leur prédisant «de crever avant que la Troïka ne meure». Deux jours après au Qatar, il dépêche ce sinistre pronostic de périr sur l'échafaud, «ceux qui pensent prendre le pouvoir par un coup d'Etat ou une deuxième révolution». Dans ce discours bardé de certitudes et de menaces, encombré de slogans, où M. Marzouki montre un grand volontarisme mais aussi un déni total de la réalité, la faute est toujours aux autres ; ceux qui n'ont rien compris, qui ne veulent pas partager, les adversaires de la légitimité, les contestataires de l'identité, les fauteurs de troubles, les extrémistes laïques et progressistes. Une attitude qui montre une rigidité patente moulée dans un discours populiste qui ne s'adresse ni à l'intelligence des Tunisiens, ni au bon sens. Dans la même déclaration, à la chaîne El Jazira, le Président s'érige en sage avec Rached Ghannouchi et Mustapha Ben Jaâfar, qui ont pour mérite non reconnu, prévient-il, de canaliser la «colère d'un peuple indomptable». «Ou nous ou la terreur » ?! Moncef Marzouki, sans être un tribun, est un polyglotte qui a le verbe facile, qui aime les belles tournures et les phrases chocs. Mais visiblement, l'épreuve orale ne lui réussit pas toujours. Quand on le contredit, il s'emporte et se laisse aller. Le ton devient fort, le rythme saccadé, le verbe tranchant. Enervé, le président ne se retient plus, parle d'abord, réfléchit après. La vidéo dans laquelle une véhémente «bonté divine» est dégainée laisse voir un grave problème de forme, mais aussi de maîtrise de soi. Les maladresses verbales sont devenues habituelles et il est rare que ses petites phrases ne soient pas truffées de bévues, que ses conseillers s'empressent de raccommoder après. Mais quand ces phrases sont dites à l'étranger, le malaise est grand parce qu'irrattrapable, définitif. Quelle serait sinon la signification de cette menace directe : «Les guillotines leur seront installées» ? Le président, qui, d'après tous les sondages, est au plus bas de sa cote de popularité, n'hésite pas à parler au nom de tout le peuple tunisien, et pour tenir quel discours ? Ou nous ou la terreur ? Ou bien faut-il comprendre autrement ce sinistre avertissement ? Ainsi, si l'on peut reprocher au président le ton convenu, enrobé de langue de bois de ses discours écrits et lus. Les allocutions improvisées et réponses aux interviews sont autrement plus dérangeantes, avec ces incartades verbales étalant sur la scène internationale les querelles internes, les rivalités politiques et les ressentiments qu'il voue aux uns et aux autres. Sans se soucier outre mesure des formes, M.Marzouki ne rechigne pas à ridiculiser, insulter, voire menacer ses compatriotes, et qui plus est, devant des étrangers. Un discours jusqu'au-boutiste, qui, venant d'un président, est irrecevable, selon les uns et les autres. D'un président doublé d'un défenseur des droits de l'Homme, qui a voué une partie de sa vie à défendre des idéaux, est tout juste scandaleux. Sur la voie du sillon qu'il a creusé durant ses longues années de combat, l'on se rappelle avec lui quelle est la définition d'un dictateur ? Exercer le pouvoir sans contrôle. Mais encore ? Ne pas souffrir la critique. Mais encore ? Diaboliser, punir et éliminer ses adversaires. Mais encore ? S'autoproclamer au nom de la paix et la stabilité l'unique alternative. L'on se souvient de la thèse de Ben Ali, elle n'était différente en rien. Ceci pour la forme. Quant au fond, s'il y a peut-être des progressistes extrémistes, la vraie question est, ce n'est pas tant la position des uns et des autres, que les lignes rouges sur lesquelles l'on se doit d'être intransigeant. Faut-il, au nom du partage et de la recherche de la concorde, céder, par exemple, sur les principes des libertés individuelles, de l'universalité des droits de l'Homme ou sur l'égalité totale entre l'homme et la femme ? Ou bien faut-il éluder le fond du problème, au nom d'une entente factice entre progressistes et islamistes ? Le débat est ouvert. Pour y participer ou prétendre le diriger, il faudra peut-être un certain nombre de règles : comme celle d'être fidèle à ses principes d'antan.