Par Khaled TEBOURBI La famille des enseignants de musique vient de perdre un de ses plus valeureux doyens, le regretté Taoufik Dhouioui. Le nom de Tawfik Dhouioui n'est pas associé à l'histoire de la pratique musicienne dans notre pays. A part d'avoir exercé comme luthiste à la Rachidia dans les années 50-60, l'homme ne fut pas vraiment un protagoniste : ni chanteur, ni compositeur, ni soliste. Sa carrière entière, il la consacra à former et à cultiver des jeunes talents. Et il y réussissait plus que tous ses collègues. A cette époque, sous l'impulsion de Salah El Mehdi, les professeurs de musique commençaient à essaimer dans nos collèges et lycées. Le mémorable Noureddine El Annabi à Sadiki, les vaillantes mesdames Zelfani et Qmiha à Montfleury et à la rue du Pacha, le tout jeune Tahar Gharsa à Radès, et d'autres encore à travers nos villes et régions. Taoufik Dhouioui eut «la charge» du lycée Khaznadar. «Charge» était bien le mot. C'était un pensionnat de «matheux» et de studieux pour qui les arts, a fortiori la musique, ne représentaient «nul projet d'avenir». J'ai, moi-même, souvenir de la difficulté que Si Tawfik avait à tenir ses classes lorsqu'il prit ses fonctions. Les lectures de solfège viraient immanquablement aux fous-rires et quand il fallait essayer les uns et les autres aux «touboûs» et au chant, les «moqueries» fusaient de partout. Mais j'ai surtout gardé en mémoire la gentillesse et le tact avec lesquels le prof «tout bleu» avait fait face à la situation. Il ne perdit ni courage ni patience, et au bout de quelques mois, il eut l'excellente idée de sélectionner les moins réticents et de les convier, à ses heures libres, à animer un club de musique. Une troupe, la première du lycée Khaznadar, avait ainsi pu voir le jour. Avec des noms qui s'illustreront plus tard dans différents domaines artistiques, les N.Mekkaoui, Brahim Chemmam, Moncef Ben Amor, Tawfik Jebali, et j'en oublie sûrement. C'étaient des répétitions chaque fin de semaine et des concerts à chaque fête et fin d'année. De plus, Taoufik Dhouioui nous entraînait régulièrement aux célèbres «moutarhat» mensuelles de la Rachidia. Il y avait Tarnane, Triki, Mehdi, Srarfi, Saliha encore, Tahar Gharsa, Oulaya et Naâma à leurs débuts. Le nec plus ultra de la musique à la rencontre de la jeunesse musicale scolaire. La symbiose fut telle que d'aucuns, parmi nous, s'empressèrent de rejoindre les cours de l'institut. Par amour de la musique Mais l'œuvre du formateur allait encore plus porter ses fruits au seuil des années 70, avec l'arrivé des Bouchnaq, Asli frères, Adnane Chaouachi, Noureddine El Béji, les sœurs Bjaoui et d'autres talents en herbe, que Taoufik Dhouioui, toujours à partir d'une prospection dans les clubs de musique du secondaire, regroupa au sein de la troupe de la maison de la culture Ibn- Khaldoun. Une panoplie d'exception dont émergera, aussitôt, et sur des bases classiques solides, la première grande relève de la chanson tunisienne de l'après-Indépendance. L'expérience du lycée Khaznadar et de la Maison de la culture Ibn-Khaldoun s'est évidemment poursuivie, jusqu'aux abords de la décennie 80, et après le départ à la retraite de Tawfik Dhouioui. D'autres jeunes ont pu en tirer profit et se préparer soit à une carrière professionnelle, soit à des cycles d'enseignants. Trois générations de musiciens de haut niveau se seront affûtées au contact du «petit prof», qui n'était ni chanteur, ni compositeur, ni soliste. Mais, simplement, un pédagogue, qui savait reconnaître et féconder les talents, et communiquer l'amour de la musique autour de lui. Paix à votre âme Si Tawfik, nous vous en saurons toujours gré.