Décidément, la commission mixte de coordination et de rédaction de la Constitution relevant de l'ANC n'en finit pas de faire parler d'elle, voire de provoquer des polémiques et des dissensions dont personne n'a besoin en cette période où l'on semble avoir choisi la voie du consensus et du compromis. Et ce sont, précisément, ces consensus et ces accords nés des deux sessions de dialogue national tenues, ces derniers jours, au palais Edhiafa et au Palais des congrès à Tunis qui ont failli partir en fumée, vendredi dernier, lors de la réunion de cette même commission consacrée à la mise en texte des accords convenus, plus particulièrement pour ce qui est du droit syndical, du droit de grève et de la liberté de conscience. Les représentants d'Ennahdha ont, en effet, surpris tout le monde en proposant une nouvelle version relative à l'article sur le droit syndical et le droit de grève, remettant en cause pratiquement tout ce qui a été réalisé auparavant et revenant à la case départ. Idem pour le nouvel article sur la garantie des droits et des libertés que les participants au dialogue au palais Edhiafa et de celui de l'Ugtt ont décidé d'ajouter au texte de la Constitution. Les consensus vidés de leur sens Issam Chebbi, constituant, membre du bureau exécutif d'Al Joumhouri, précise : « Au sein de la commission mixte de coordination et de rédaction de la Constitution, nous avons décidé d'introduire au texte de la Constitution qui sera soumis au vote des constituants, les modifications relatives au droit syndical et au droit de grève, et ce, en éliminant toute forme de restriction à l'exercice de ces droits conformément aux consensus auxquels nous sommes parvenus lors des deux sessions de dialogue national. Malheureusement, nous avons été surpris de voir les représentants d'Ennahdha se rétracter et avancer une nouvelle formule qui constitue un revirement total et une nouvelle forme de restriction du droit syndical et du droit de grève». Ils ont avancé, effectivement, la formule suivante : «Le droit syndical, y compris le droit de grève, est garanti. La loi garantit la continuité des services nécessaires à la satisfaction des besoins fondamentaux du citoyen et le respect de la liberté du travail durant la durée de la grève». Ainsi, les restrictions sont de retour. Quant au nouvel article à ajouter au texte de la Constitution, il stipule dans sa version initiale ce qui suit : «La loi définit la pratique des droits et des libertés garantis dans la présente Constitution, de manière à ne pas porter atteinte à leur essence. Les instances juridiques veillent à leur protection contre toute violation». Notre source relève que cette version a été acceptée par tous les participants au dialogue national, lors de ces deux sessions. Bien qu'ayant donné son accord à la version suscitée, Ennahdha s'est rétractée pour avancer, vendredi dernier, la version suivante : «La loi fixe les normes relatives aux droits et aux libertés garantis dans la présente Constitution.Elle fixe leur pratique de manière à ne pas porter atteinte à leur essence. Les lois sont promulguées uniquement pour protéger les droits d'autrui, en fonction des exigences de la sécurité publique ou de la défense nationale ou de la santé publique. Les instances juridiques veillent à préserver les droits et les libertés contre toute violation». Les membres du bloc démocratique conduits par Iyadh Dahmani et Fadhel Moussa se sont retirés de la réunion de la commissions en signe de protestation «contre ces revirements qui ne font que restreindre l'exercice des droits et des libertés». Le draft définitif, demain Issam Chebbi précise encore : «Pour ce qui est de la liberté de conscience, ce sont les représentants de Wafa qui étaient contre. Les constituants d'Ennahdha avaient une position hésitante. Heureusement qu'à la suite d'un long dialogue, nous avons réussi à faire introduire la liberté de conscience dans l'article 5 de la future Constitution». Toutefois et quoique les représentants du groupe démocratique aient quitté la salle de réunion de la commission, le dialogue a fini par prévaloir entre les responsables d'Ennahdha, d'Al Joumhouri et d'Ettakatol. «Il a été décidé de tenir demain une réunion par la commission mixte de coordination et de rédaction de la Constitution en vue de décider du draft définitif et officiel de la Constitution dont une copie sera soumise au président de la République et au chef du gouvernement. Ce draft sera celui qui sera soumis à la discussion et au vote des constituants lors de la séance plénière», indique Issam Chebbi. Notre crédibilité est en jeu Abdelhamid Jelassi, vice-président et coordinateur général d'Ennahdha, préfère ne pas s'étaler sur les détails « qui sont l'affaire des membres de la commission mixte de coordination et de rédaction» et insiste sur le fait «qu'Ennahdha est déterminé à respecter ses engagements et les consensus issus des rounds de dialogue au palais Edhiafa ou à l'initiative de l'Ugtt. Il y va de notre crédibilité qui est en jeu». Il assure, d'autre part, que les nahdhaouis «ne renieront pas les consensus contenus dans la déclaration finale qui a couronné les travaux du 2e round du congrès national de dialogue de l'Ugtt. Le droit syndical et le droit de grève seront respectés dans le cadre de la loi comme le prévoit le nouvel article qui sera rajouté au texte de la Constitution». Le coordinateur général d'Ennahdha tient à souligner que «les lois ne doivent, en aucune manière, vider les droits de leur sens. Elles doivent demeurer des lois purement réglementaires. Nous avons le devoir absolu d'éviter de reproduire les expériences des régimes précédents qui faisaient tout pour que les lois prennent le dessus sur la Constitution». Le comité de suivi à l'œuvre Sur un autre plan, le comité de suivi des conclusions du congrès de dialogue national de l'Ugtt a tenu, hier, sa deuxième réunion, à la Maison de l'avocat à Tunis. Les participants à la réunion ont décidé la constitution d'une délégation qui prendra contact avec le gouvernement pour suivre l'évolution de la situation sécuritaire, l'application des recommandations du congrès national de dialogue et l'examen de la situation économique et sociale dans le pays. Il est à préciser que le comité tiendra sa troisième réunion, mercredi prochain, au siège de l'Ugtt. Réviser le règlement intérieur Dans un communiqué dont une copie est parvenue à La Presse, le parti «La voix des agriculteurs», installé à Bousalem, appelle à une révision immédiate du règlement intérieur de l'ANC dans le but d'opérer une recomposition de la commission mixte de coordination et de rédaction de la Constitution. Le parti «La voix des agriculteurs» justifie son appel par le fait que la plupart des consensus convenus au sein des commissions constituants ont été modifiés au sein de la commission de coordination, ce qui retarde l'opération d'élaboration de la Constitution et fait perdre aux Tunisiens du temps et de l'argent.