En 1974, après près de 50 années de dictature, le Portugal s'est vu offrir par les militaires une révolution, baptisée la «révolution des œillets». Les réformes politiques qui s'en étaient suivies, parfois de façon très lente, ont largement inspiré d'autres pays du sud de l'Europe, qui ont entamé une transition démocratique suite à la chute de régimes autoritaires comme ceux de Franco en Espagne et la dictature des colonels en Grèce. Le 14 janvier 2011, les Tunisiens précipitent la chute de Ben Ali, entraînant dans son sillage la chute de Kadhafi en Libye et de Moubarak en Egypte dans un «Printemps arabe » salué par la communauté internationale. A plusieurs égards donc, l'histoire de la révolution portugaise semble particulièrement proche de celle de la Tunisie. D'ailleurs, dès l'élection de l'Assemblée nationale constituante en octobre 2011, les regards de plusieurs constitutionnalistes et constituants se sont tournés vers le Portugal pour s'inspirer de son régime politique, capable selon eux, vu la ressemblance historique, de donner des indices de réponses aux dilemmes de la vie politique tunisienne. Dans le cadre de la visite d'une délégation parlementaire portugaise qui a démarré hier et se poursuivra aujourd'hui, l'ambassadeur du Portugal en Tunisie, M. Luis Faro Ramos, a indiqué, lors d'une conférence de presse, que depuis la révolution tunisienne, plusieurs rencontres se sont enchaînées afin de «consolider les relations d'amitié entre la Tunisie et le Portugal». Conduits par Vitalino Canas, député du Parti socialiste portugais, principal parti d'opposition (tout un symbole de la culture démocratique qui prime), les parlementaires sont unanimes dans le diagnostic qu'ils font de la transition démocratique en Tunisie. Pour eux, il est évident que la réussite du processus tunisien, s'il est mené à son terme, servira de lanterne aux pays de la région, mais il rassurera également l'Europe qui regarde «avec beaucoup d'intérêt l'évolution de la situation en Tunisie depuis deux ans», explique Vitalino Canas. Selon lui, «La Tunisie est en train d'écrire l'Histoire et pas seulement la sienne». L'Histoire, le Portugal y a contribué, dès 1974, puis en 1976 en adoptant une constitution née dans une Assemblée constituante semblable à la nôtre. A l'intérieur de cette ANC, un débat s'est installé autour de la question fondamentale du régime politique à adopter. Trois courants s'étaient cristallisés à cette époque. «A cette époque, le Parti socialiste traditionnellement pro parlementaire faisait pression d'un côté, de l'autre, un courant présidentialiste et un courant influencé par la rigueur militaire, en fin de compte le processus consensuel a abouti à un régime mixte à forte teneur parlementaire mais où le président de la République a eu tout de même d'importants pouvoirs jusqu'en 1982, année à laquelle il a été investi du rôle d'arbitre dans le sens où il a une faculté d'empêchement qui lui permet de prévenir les éventuels excès de la majorité, ou de trancher dans les situations d'impasse parlementaire», explique Antonio Costa Rodrigues, député du Parti social-démocrate actuellement au gouvernement. Selon lui, la force du système portugais tient au fait que le président de la République et le parlement tirent leur légitimité du suffrage universel, ce qui garantit la non hégémonie d'une institution par rapport à l'autre. Bien évidemment, le régime politique adopté par le Portugal n'est pas la panacée, il donne constamment lieu à des crises parlementaires qui amoindrissent l'efficacité de l'Etat (c'est là une peur exprimée par un certain nombre d'observateurs en Tunisie). Dernière grande crise en date, c'est celle de 2011, à l'occasion de la crise économique qui a secoué le pays, le premier ministre José Socrates propose au parlement un nouveau plan d'austérité qui a été refusé par celui-ci. Le Premier ministre présente alors sa démission, et le président de la République dissout l'Assemblée nationale, tout en acceptant finalement, avant la proclamation des résultats du scrutin du 5 juin 2011, le plan d'austérité imposé par l'Europe. De son côté, Luis Fazenda, député du Bloc de gauche, tout en estimant que le projet de constitution tunisien offre un large éventail aux droits humains, il s'interroge sur certaines discriminations faites dans la composition du pouvoir politique et plus précisément sur la religion de l'Etat. «Nous espérons que nos doutes seront dissipés et surtout que la Tunisie rassurera quant à ses engagements vis-à-vis des traités internationaux», dit-il. Notons par ailleurs que la 1ère république portugaise date de 1910, à la suite d'une révolution, mais comme le note Vitalino Canas, «la grande incapacité des partis à se mettre d'accord a facilité à la force autoritaire de s'installer le 28 mai 1926, après un coup d'Etat militaire conduit par le général Gomes da Costa sous prétexte de rétablir l'ordre dans le pays en proie à des tensions politiques».