«Malheureusement, la plupart des hommes d'affaires détenus préventivement ont dépassé le délai de six mois et aucune décision de renouvellement de la durée n'a été prise», dit le juriste. Pis, pour d'autres, la durée maximale est dépassée ! Est-ce qu'on aurait dû traiter autrement le dossier des hommes d'affaires ? La réponse est positive, puisqu'aucune des parties prenantes ne semble satisfaite du bilan de la reddition, des détenus aux interdits de voyage, en passant par les responsables et les partis politiques. «Pourquoi certains ont été traduits en justice alors que d'autres sont encore libres», s'est interrogé tout bonnement Me Mohamed Ferchichi, docteur en droit, très connaisseur de ce dossier, notamment des cas qui figurent sur la liste des clients de son cabinet. En effet, la reddition n'est que partielle, estime-t-il, et ses critères sont flous. Cette sélectivité prête à plusieurs interprétations avec de bonnes et de moins bonnes explications. «A défaut de critères bien établis, on ne dispose pas de liste», ajoute-t-il. Et de préciser : «Normalement, on a droit à une liste de ces hommes d'affaires et aux critères de leurs inculpations, le tout sur la base d'une loi adoptée par l'ANC». De surcroît, cette loi «référence» pourrait être un élément de la justice transitionnelle. Ainsi, le dispositif de la reddition semble partir sur des bases non solides. Ce qui a ouvert la voie à plusieurs dépassements procéduraux et à des irrégularités dans plusieurs cas de ces hommes d'affaires. «Les deux irrégularités majeures se rapportent à l'interdiction de voyager et à la durée de détention préventive», remarque l'expert. Pour la première, la décision d'interdiction de voyager a été prise par le juge d'instruction directement. «Aucun article de loi ne permet au ministère public, ni à aucun agent de la police judiciaire, de retirer le passeport de l'inculpé ou lui interdire de voyager, et ce, quelle que soit l'affaire pénale intentée contre sa personne», martèle-t-il. Le maître a démontré de la même façon que les motifs et les procédures d'interdiction de voyager n'étaient pas respectés. «Manifestement, la plupart des hommes d'affaires, sinon tous, ont fait l'objet d'une interdiction de voyage illégale», conclut-il. Et de poursuivre : «Malheureusement, la chambre d'accusation de Tunis, saisie de demandes d'appel, n'a pas été convaincue de la violation de la loi. Elle a déclaré ces appels irrecevables». Pour la deuxième, les violations des règles relatives à la liberté provisoire et à la détention préventive sont flagrantes. En effet, la durée maximale de la détention préventive ne peut dépasser 14 mois, soit une première période de six mois qui pourrait être prorogée deux fois de quatre mois sous certaines conditions. «Malheureusement, la plupart des hommes d'affaires détenus préventivement ont dépassé le délai de six mois et aucune décision de renouvellement de la durée n'a été prise», précise-t-il. Pis, pour d'autres, la durée maximale est dépassée ! S'appuyant sur les expériences de transition démocratique, l'expert a retenu quelques grandes lignes qui pourraient dresser une feuille de route pour le traitement de ce dossier. Entre la reddition et la réconciliation, il opte pour le conditionnement de la réconciliation. Avec des critères bien définis, une liste d'hommes d'affaires et de crimes se dresse pour traiter, par la suite, au cas par cas. Ensuite, un pacte pénal entre l'Etat et les hommes d'affaires faisant l'objet de poursuites pénales pour des infractions commises avant la révolution arrêtera les obligations de chacun. Ce pacte comporte essentiellement une clause de pardon, demandé par l'homme d'affaires signataire de ce pacte. Puis, une clause de dédommagement oblige ces hommes d'affaires à dédommager toutes les victimes, y compris l'Etat, sur la base de rapports d'expertise. Ensuite, selon une clause de citoyenneté, ces entrepreneurs listés dresseraient un plan personnel d'investissement dans les régions défavorisées en vue de résorber le chômage. Et une clause de participation qui permet à ces alliés de l'ancien régime de se rattraper et de participer un tant soit peu à la révolution en prenant en charge des blessés de la révolution. Finalement, selon la clause de grâce, toutes les poursuites pénales contre les hommes d'affaires signataires du pacte seraient suspendues jusqu'à ce qu'ils remplissent toutes leurs obligations.