Beaucoup de Tunisiens pensent que le racisme et la xénophobie n'existent pas, mais la réalité fait honte à voir. A Sidi Makhlouf, par exemple, les écoliers blancs et noirs prennent des bus différents. Réunis à la Maison du droit et des migrations autour d'un déjeuner-débat, vendredi dernier, des Noirs tunisiens et étrangers ont pu exposer la réalité de leur situation. Le constat est alarmant. Entre les 19 et 20 juin, 700 étudiants subsahariens ont dû payer une amende d'au moins 300DT à l'aéroport de Tunis avant de rentrer chez eux. Motif de l'amende : ils ont séjourné quelques mois en Tunisie sans papiers. Sauf que la faute revient à l'administration tunisienne qui a pris 6 à 7 mois de retard pour leur délivrer leur carte de séjour définitive. Autrement dit, les autorités font payer aux étudiants subsahariens les fautes qu'elles ont elles-mêmes commises. Les étudiants africains en Tunisie sont au nombre de 8.000, dont 5.000 habitant le Grand-Tunis. «Aucun d'entre eux n'est heureux », assure Blamassi Touré, président de l'Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (Aesat). Les étudiants se font insulter et escroquer régulièrement. Dans certaines écoles, les frais de scolarité sont deux fois plus élevés pour les subsahariens que pour les Tunisiens. Depuis la chute du régime Ben Ali, l'expression du racisme et de la xénophobie a explosé. Le 29 avril, des Tunisiens ont attaqué un immeuble d'étudiants noirs-africains à La Fayette (Tunis). Arrivé sur place, la police embarque la personne qui l'a appelée et laisse les agresseurs en liberté. «Le racisme existe partout mais la Tunisie est peut-être le seul pays où il n'est pas condamné», s'indigne Touré. Quand les victimes vont se plaindre dans un commissariat, on leur dit que le racisme n'existe pas. Et sur le plan juridique, il n'y a pas de lois contre la discrimination raciale qui pénalisent les propos et actes racistes. Rejet du racisme Les Noirs tunisiens ne sont pas mieux lotis que les étrangers. L'expression oussif, qui veut dire esclave, continue d'être couramment utilisée. D'après Saadia Mosbah, présidente de l'association M'nèmty Heducap, l'Etat a mis en place, depuis 2000, des bus scolaires spécifiques aux Blancs et aux Noirs à Sidi Makhlouf (gouvernorat de Médenine). A Djerba, on continue d'inscrire la mention «atig» (esclave affranchi) sur les actes de naissance des Noirs, révèle Maha Abdelhamid, co-fondatrice de l'Association de défense des droits des Noirs (Adam) dans une interview accordée à une radio française. «Le racisme est institutionnalisé, c'est pour ça que nous tenons à ce que la Constitution traite de cette question», explique Saadia Mosbah. Pour l'heure, aucun article dans la nouvelle Constitution ne condamne le racisme et la xénophobie. Les associations M'nèmty et Adam font pression sur les députés pour que cela change. Bien que la première réaction soit souvent le déni, une centaine d'entre eux a favorablement répondu à l'appel en signant une pétition pour l'inscription d'un texte dans la Constitution contre la discrimination raciale, selon le député Selim Ben Abdessalem. Mais les lois, seules, ne transforment pas le monde. Pour Smain Laacher, professeur en sociologie, la société civile devrait continuer à faire pression et transformer les souffrances privées en cause collective. Un mouvement de lutte contre le racisme et la xénophobie, mené par des associations, commence à voir le jour en Tunisie. Dernièrement, M'nèmty Heducap et l'Aesat se sont associées à l'Association Tunisienne de Soutien des Minorités pour déposer une plainte contre une enseigne de grande distribution, suite à la publication d'une photo «à caractère raciste» sur sa page Facebook.