Par Hmida BEN ROMDHANE La BBC est une vieille institution respectable et respectée. Par conséquent, elle ne se permet pas de parler à la légère, ni de faire des commentaires qui laissent entendre l'engagement de la «maison» avec ou contre tel ou tel parti ou telle ou telle organisation. Ainsi, quand la BBC qualifie le rassemblement du 30 juin dernier dans les rues des villes égyptiennes de «plus grand rassemblement populaire dans l'histoire de l'humanité», on ne peut pas ne pas la croire. Entre 14 et 33 millions d'Egyptiens, selon diverses sources, sont descendus dans la rue pour exiger comme un seul homme le départ du président Mohamed Morsi et de son parti. Si l'on prend en considération le second chiffre, et si l'on estime que chaque manifestant est soutenu par deux membres de sa famille ou deux amis qui n'ont pas pu descendre dans la rue, il sera aisé de constater que c'est tout le peuple égyptien qui exige que les «Frères musulmans» lâchent les rênes du pouvoir et se fassent oublier le plus vite possible. Certes, il y a quelques milliers de défenseurs de Morsi et de son gouvernement (ou ce qui en reste), mais leur nombre extrêmement réduit, par rapport aux millions d'Egyptiens anti-Morsi, démontre encore plus la perte brutale de popularité d'un régime islamiste qui a réussi, en si peu de temps, à dresser contre lui tout un peuple. Il a fallu au régime de Hosni Moubarak près d'un quart de siècle pour que les Egyptiens envahissent les rues et exigent son départ. Et encore, le nombre des anti-Moubarak en janvier 2011 était nettement moindre que celui des anti-Morsi de juin 2013. En d'autres termes, les premiers se comptaient en dizaines de milliers, les seconds en millions. L'Islam politique cherchait à s'installer au pouvoir en Egypte depuis au moins 1928, date de la création de la confrérie par Hassan Al Banna. 85 ans après, les «Frères» ont fini par y être, mais aussi par se faire abhorrer par tout un peuple, juste un an après leur élection. Partout où ils ont pris le pouvoir, les «Frères» se sont distingués par certaines caractéristiques qui expliquent leur immense impopularité : incompétence, arrogance, reniement des promesses électorales, sans parler de cette fixation pathologique consistant à vouloir coûte que coûte changer la nature de l'Etat et mettre ses institutions au service de leur programme politico-religieux. Dans la nuit de mardi à mercredi, le président égyptien a fait un discours à ses compatriotes en colère, un discours qui les a rendus bouillonnants de fureur. L'arrogance de Mohamed Morsi a atteint des sommets jamais égalés dans les annales de la politique. En effet, c'est à un théâtre de l'absurde que nous avons eu droit, avec d'un côté pratiquement tout un peuple qui crie «dégage», et un président qui répond «non, je suis légitime, et je suis prêt à sacrifier ma vie pour préserver cette légitimité». C'est donc à un choc spectaculaire des légitimités que nous assistons en Egypte. Il est vrai que Mohamed Morsi a été élu le 30 juin 2012 à une très faible majorité de 51,7% des voix du corps électoral, dont la moitié n'a pas jugé utile de faire le déplacement pour aller voter. C'est la règle de la démocratie, et Morsi a été salué alors dans le monde comme «le premier président égyptien élu démocratiquement». Il y a une confusion dans l'esprit des «Frères» pour qui élection veut dire chèque en blanc. Dans les démocraties, l'élection ne veut pas dire chèque en blanc, mais un contrat entre l'électeur et l'élu, ce dernier étant tenu de remplir ses promesses et de faire en sorte que les conditions de vie de ceux qui l'ont porté au pouvoir soient meilleures après l'élection. Or, il est flagrant que partout où les «Frères» gouvernent, les conditions économiques, sociales et sécuritaires des populations se sont fortement dégradées, ce qui constitue une rupture du contrat électoral. C'est là le nœud du problème, et c'est là où résident les raisons qui poussent les millions d'Egyptiens à exiger le départ d'un président qu'ils ont élu il y a un an. Morsi s'accroche à ce qu'il appelle sa «légitimité électorale» comme s'il s'agit d'une bouée de sauvetage. Sa courte vue l'empêche de voir que la majorité de ceux qui l'ont élu et tous ceux qui ne l'ont pas élu exigent aujourd'hui son départ. La légitimité électorale dont il se prévaut a volé en éclats suite au choc qu'elle a eu avec une autre légitimité, autrement plus puissante, la légitimité populaire, celle des millions qui, nuit et jour, défilent dans les villes égyptiennes en hurlant «Morsi dégage».