Une génération d'artistes réunionnais a grandi avec du maloya plein les oreilles. Une musique qui change de couleurs, selon les générations : politique, électrique et... éclectique ? A la Réunion, l'île du métissage par excellence, la créativité s'épanouit librement. Electro, hip-hop, ragga, maloya traditionnel, tous les genres musicaux coexistent et se «pollinisent», pour donner naissance à une scène bâtarde et féconde. Dans la transe ou dans la danse, le maloya traditionnel connaît une nouvelle jeunesse avec Christine Salem ou Olivier Araste, le chanteur de Lindigo. Mais plus discrètement, une génération de trentenaires s'appuie sur le maloya pour aller voir ailleurs: vers la chanson, le jazz ou les musiques traditionnelles d'Afrique, d'Inde ou du Moyen-Orient. Parapente A priori, pas grand-chose à voir entre la musique de Maya Kamaty, le trio Lo Griyo et le groupe Grèn Semé. Ils sont Réunionnais, jouent du maloya chanson, un jazz électrodub ou une musique sans étiquette. Les uns chantent en français, en créole, les autres prônent une musique instrumentale mondialisée, où la flûte pygmée côtoie le drum'n'bass. Pourtant, on entend de loin en loin, des références communes au maloya : sa rythmique ternaire ou les instruments traditionnels comme le kayamb, percussion en tige de canne, le triangle, le roulé, pulsation vitale du maloya. Trentenaires, ils appartiennent à la génération Mitterrand, ce qui sur l'île de la Réunion a un sens bien particulier. En 1981, avec l'arrivée de la Gauche au pouvoir en France, le maloya sort de la clandestinité. Symbole d'une identité métisse, le genre explose. Il est porté en étendard et inonde les ondes des radios privées. Au fil des années 1980, Gilbert Pounia, leader de Ziskakan (et père de Maya Kamaty), lui fait prendre un tour folk rock, avec une guitare, basse et batterie. Trente ans plus tard, émerge une génération de musiciens, qui a grandi bercée par le maloya et qui l'emmène vagabonder joyeusement vers la chanson, le jazz ou l'électro. «La politique est le pire ennemi de la musique», explique Sami Pageaux-Waro, du trio Lo Griyo. Et d'ajouter : «Maintenant, on fait du maloya pour la musique. Du coup, il n'a jamais autant évolué que ces dernières années». Pour Carlo de Sacco, le chanteur de Grèn Sémé, «si une culture n'évolue pas, elle se folklorise. Nous sommes une génération mondialisée. Il y a foisonnement autour du maloya, parce que la Réunion est en train de s'apercevoir de sa profondeur». Récompensé par plusieurs prix de langue créole, sélectionné aux Francofolies de la Rochelle en 2011, puis au Printemps de Bourges en 2012, Carlo de Sacco insiste: «Je ne suis la relève de rien, car rien n'est tombé. Les vieux nous ont donné le maloya. C'est comme si c'était un parapente : il ne faut pas le laisser dans le garage, il faut qu'il vole». Dans le délicat premier album de Grèn Sémé, on entend le kayamb, le roulèr, mais aussi des qarqabu gnaoua, de l'électro, du jazz, une poésie et une diction qui rappellent celle de Danyel Waro. Carri Assise en tailleur sur la plage de Saint-Pierre, Maya Kamaty explique simplement : «Tout a commencé avec Davy Sicard et son maloya kabossé. Il a chanté en français, ce qui était rare dans le maloya. Et puis, quand même, il faut rendre hommage à Ziskakan qui a été le premier groupe à sortir le maloya du registre traditionnel !» Fille du chanteur Gilbert Pounia, elle s'apprête à sortir début 2014 un premier album de maloya chanson et revendique des influences au large spectre, de Billie Holiday à Camille. «Dans le groupe, nous sommes quatre Créoles réunionnais. Nous écoutons du jazz, du dub step, du pop, du folk, etc. On mélange tout ça avec nos influences et on fait un bon carri», s'amuse-t-elle.