Par Soufiane BEN FARHAT Où sont passées nos élites, nos élites politiques plus précisément ? La question est lancinante. Parce que, à bien y voir, le temps des épreuves réelles a commencé. Finie la récréation. Dans quelques semaines, se profilera la ligne droite en vue des élections de l'Assemblée constituante du 23 octobre. Les partis politiques seront dès lors livrés à eux-mêmes, dans une espèce de course folle et sans merci. Ne nous y trompons pas : la politique n'est guère une revue de mode. Encore moins une fête de fin d'année où l'on distribue les satisfecit à tout vent. C'est plutôt une lutte acharnée. Permanente. Elle requiert les techniques d'embuscade, de la guerre de position et de la guerre de mouvement. Son but essentiel est le pouvoir. Et la lutte pour le pouvoir est toujours cruelle et sans pardon. Toute considération moralisatrice y est, d'emblée, relativisée, sinon écartée en bonne et due forme. Nos nouveaux partis n'y sont guère préparés, ou pas suffisamment. Résumons : la Révolution du 14 janvier 2011 a considérablement libéré un grand gisement d'énergies. Des gens de tout bord, de divers horizons, s'y sont pleinement investis. Généreusement le plus souvent, hâtivement parfois. Le propre des révolutions est d'opérer ainsi. Elles captent en un temps relativement court des capacités jusque-là en sommeil, sinon potentielles, sur la longue durée. Elles produisent de véritables cataclysmes, le plus souvent salvateurs. Chez nous, cela s'est vérifié amplement. Des dizaines de nouveaux partis politiques ont vu le jour en un laps de temps très très court. Ils dépassent désormais les cent partis, cent autres demeurant toujours en instance d'approbation. Plus de cent autres ont été refusés. Soit plus de trois cents initiatives partisanes repérées déjà et plus ou moins effectives. Or, comme l'instruit le proverbe, le grand nombre s'accompagne de peu de baraka. Malgré leur surnombre, nos partis politiques n'ont guère de visibilité. Hormis une poignée d'entre eux, bien évidemment. Et même pour ces derniers, la visibilité est tronquée. Ou claudicante. Ou diminuée d'une manière ou d'une autre. Résultat : les citoyens cultivent désormais une méfiance non déguisée à l'endroit des partis politiques. Très peu de ces derniers bénéficient d'ailleurs d'une notoriété — qu'elle soit spontanée ou assistée — auprès de l'opinion. Pis, l'abstention massive des inscriptions des électeurs potentiels sur les listes électorales traduit cette méfiance dûment assumée. En revanche, commencent à poindre les initiatives indépendantes. C'est à se demander si les indépendants ne feront pas l'essentiel et la différence au cours des élections du 23 octobre. Parce que, plus que toute autre, la nature politique n'accepte pas le vide. C'est comme en hydrostatique et mécanique des fluides. Et que voyons-nous entre-temps ? Les dirigeants de l'écrasante majorité des partis politiques n'en finissent pas de bayer aux corneilles. Ils ne font même pas montre d'opportunisme politique. Opportunisme signifie ici saisir les chances au vol. Certains d'entre eux poussent l'insouciance aux limites de l'arrogance. C'est malheureux, mais c'est ainsi. Samedi dernier, on a appris que six partis, Ennahdha, Pcot, Attajdid, Attakattol, CPR et Afek, ainsi que l'Ugtt, ont amorcé un premier dialogue en vue de réussir le processus électoral. Depuis l'annonce fort discrète, silence radio. Comme toujours, il s'agit visiblement d'un simple effet d'annonce. Un coup d'épée dans l'eau. Des citoyens m'assaillent de partout: pour qui comptez-vous voter ? Pouvez-vous m'éclairer ? Je me sens perdu(e)… Je ne sais. Je suis toutefois certain que je prendrai toujours le camp du parti de l'intelligence contre le parti de l'instinct. Et que je voterai utile, dans tous les cas de figure. Entre-temps, je m'efforce de déchiffrer la constellation brumeuse des partis de mon pays. Un embrouillamini dont il est fort difficile de dévider les écheveaux.