Par Abdelmajid HAOUACHI(*) Une fièvre électorale, ou plutôt électoraliste, prématurée n'a de cesse de gagner les hautes sphères d'une «classe politique» tunisienne galvanisée par un surcroît d'événements fracassants qui ébranlent le pays. Des protagonistes qui tâchent de partir à point pour la future épreuve électorale sans le moindre souci de la Constitution qui est censée incarner l'âme de la Révolution tunisienne. Ces aventuristes, totalement en porte à faux avec les attentes de la Révolution, parviendront-ils à tordre le cou de l'histoire ? Béji Caïd Essebsi et compagnie se sont autoproclamés gardiens du temple de la légitimité. Aussi ont-ils annoncé solennellement la date du 23 octobre prochain comme devant mettre fin à ce qu'ils ont dénommé «légitimité électorale». Pour évincer leurs adversaires d'Ennahdha, les partisans d'Essebsi prêchent désormais par ce légitimisme de façade afin de justifier leur campagne électorale prématurée. En retour, Ennahdha et ses alliés de la Troïka dont la posture politique n'est point à envier, adoptent une tactique de temporisation mais dans la même logique électoraliste. «Nous devons accélérer l'écriture de la Constitution pour pouvoir passer au scrutin», indique Hamadi Jebali dans sa dernière interview à la RTT; avant d'ajouter que le seul vrai litige relatif à la future Constitution porte sur la forme du régime politique (présidentiel, parlementaire ou mixte). Cette précipitation des états-majors politiques officiels et non officiels en dit long sur la course au pouvoir dans la phase post-23 octobre 2011. Mais cette tactique obtuse et hâtive de part et d'autre trahit surtout le désintérêt total quant à la valeur de la future Constitution et son aptitude aux aspirations révolutionnaires. Ceci étant, dans cette phase cruciale, toute la question est de savoir si la légitimité révolutionnaire autorise les acteurs politiques tétanisés tels qu'ils sont par les enjeux électoralistes à passer outre la Constitution. Autrement dit, est-ce qu'on peut organiser des élections même sous une Constitution en deçà des aspirations révolutionnaires ? Telle Constituante, telle Constitution La pertinence de cette question tient d'abord au principe fondamental qui fait de la Constitution une donne incontournable dans toutes les révolutions. Sans s'égarer dans les spéculations théoriques, notons seulement que l'option révolutionnaire pour une Assemblée nationale constituante a été consacrée fermement et énergiquement par les forces révolutionnaires réunies dans le meeting de La Kasbah le 25 février 2011. Cette journée historique a traduit la détermination populaire à opter irréversiblement pour la rupture avec la dictature. Il ne s'agit donc plus d'opérer des amendements dans la vieille Constitution mais d'en élaborer une autre qui soit à la hauteur de cette rupture historique. La pertinence de la question tient ensuite à l'avant-goût plutôt amer de la Constitution qui est en cours d'élaboration. Il y a lieu de souligner à cet effet le clivage entre les membres de la Constituante et les préoccupations réelles des classes populaires, des chômeurs et des régions déshéritées. Les débats houleux de l'hémicycle du Bardo sont le plus souvent des confrontations politiciennes ou populistes, parfois folkloriques mais toujours stériles. De surcroît, la Constitution doit cautionner toutes les aberrations monumentales commises par le gouvernement et son échec sur tous les plans, étant donné le lien congénital entre les deux instances. La pertinence en question tient, enfin, à la composition de la Constituante et à ses membres soucieux plus par leurs privilèges, leurs salaires et leurs vacances que par l'engagement majeur qu'ils sont tenu de remplir avec la Révolution, les martyrs et les générations futures. Telle Constituante, telle Constitution, il faut un miracle pour que dans telles circonstances on parvienne à une Constitution réellement démocratique et garante d'un avenir prospère pour les acteurs réels de la Révolution. Que faire donc ? Devrait-on accepter la future Constitution avec ses insuffisances pour éviter l'enlisement de la «transition démocratique» ? L'inévitable référendum N'en déplaise à tous ceux qui tiennent à une vision réductrice des mutations en cours dans notre pays, nous disons qu'une Révolution est un séisme et non une simple transition démocratique. De ce fait, la Constitution requiert un caractère souverain intouchable. Il devient donc impératif de soumettre la future Constitution à un référendum populaire avant de penser aux prochaines élections. Et comme il n'est pas difficile de deviner son contenu médiocre, les forces révolutionnaires et progressistes sont interpellées pour engager la mère des batailles pour une nouvelle Constitution. Cela suppose l'élection d'une nouvelle constituante. Ce n'est point là un gâchis par rapport à la grande farce de l'actuelle Constituante, ni, non plus, une première dans l'histoire des révolutions. La Révolution française a élu trois constituantes entre 1789 et 1894. *(Agrégé d'histoire et journaliste)