L'inflation reflétée par l'IPC traduit mal l'inflation ressentie par les ménages au quotidien L'Institut arabe des chefs d'entreprises (IACE), avec le concours du Centre tunisien de veille et d'intelligence économique, vient de publier une étude sur l'état des lieux de l'inflation en Tunisie et l'évolution de ses taux entre 1990-2013 avancés par les économistes, dont les évaluations confirment soit la stabilité des prix si le taux d'inflation est inférieur à 2%, soit une inflation rampante si le taux varie entre 3 et 4% par an, ou encore ouverte avec un taux allant de 5 à 10% de hausse. «Au-delà de 20% on parle d'inflation galopante ou d'hyperinflation». L'année 2012 était l'année de la pression inflationniste, devenue aujourd'hui «ouverte». «L'inflation reflétée par l'IPC traduit mal l'inflation ressentie par les ménages au quotidien. En effet, lorsque l'inflation porte sur les produits et services utilisés quotidiennement ou fréquemment par le consommateur (nourriture, tabac, éducation), celui-ci perçoit de façon très nette son impact alors qu'elle sera faiblement traduite au niveau de l'indicateur agrégé qui a affiché en mars 2013 plus de 6%». L'étude a identifié les différents facteurs à l'origine de l'inflation et les régulations possibles. Parmi les facteurs, l'excès de masse monétaire du fait du crédit quand l'activité financée ne conduit pas directement à injecter dans le circuit économique des biens nouveaux à hauteur du montant de monnaie nouvelle. «Dans cette situation, en l'absence de création de richesse réelle, la conséquence directe du gonflement monétaire se manifeste sous forme d'une augmentation de la demande et par la suite des prix». Facteurs et régulations L'inflation peut être expliquée par d'autres facteurs, induite par la demande, les coûts, les éléments structurels (structure des marchés en l'occurrence). A ceux-ci s'ajoute la spirale inflationniste qui montre que «si le prix d'un élément essentiel augmente, tous les autres suivent mécaniquement. La hausse des prix conduit généralement à une hausse des salaires à la suite des revendications des salariés qui ne veulent pas perdre de leur pouvoir d'achat ce qui augmente les coûts de production pour les entreprises qui réagissent en augmentant les prix». Pour mettre fin à l'hyperinflation, l'étude a montré que des instruments doivent être mis en place, permettant de coordonner les politiques, en l'occurrence la politique monétaire en tant qu'outil de régulation de l'inflation, la politique budgétaire et fiscale. Cette dernière vise à exacerber les forces naturelles du marché. «L'Etat intervient en stimulant la production dans les secteurs où les prix augmentent, il est parfois possible d'augmenter l'offre et limiter ainsi la hausse des prix; inversement, l'Etat intervient en rationnant encore plus fort (par une fiscalité augmentée), la disponibilité de produits. A ce niveau et pour contenir les tensions inflationnistes, l'Etat tunisien est intervenu à maintes reprises pour réguler le marché (importation de lait, moutons de l'Aïd...). Par ailleurs, la politique de change peut avoir des effets sur l'inflation, par le biais de la balance commerciale. En effet, en jouant sur la valeur de la devise nationale, l'Etat peut favoriser l'exportation ou rendre l'importation moins coûteuse. Cette dernière solution peut être utile pour diminuer l'inflation, surtout lorsqu'il s'agit d'inflation importée. Apprécier la monnaie peut aussi agir sur la demande en freinant celle-ci, qui peut entraîner une diminution des prix si l'inflation est causée par une demande trop forte». L'étude affiche les records enregistrés par le dinar tunisien ces derniers mois qui ne cesse de se déprécier par rapport à l'euro et au dollar américain. Selon le cours de devises communiqué par la BCT, l'euro est changé à 2,13 dinars alors que le dollar est échangé à 1,62 dinar. Il y a deux ans, l'euro valait 1,97 dinar alors que le dollar valait 1,37 dinar. En 2010, l'euro était à 1,88dinar. Cette dépréciation été accompagnée par une baisse de recettes en devises, des restrictions à l'importation, de la perte de la valeur de l'investissement et de l'aggravation de l'inflation. Une autre mesure peut constituer une piste de régulation, à savoir le contrôle des prix et des salaires qui pourra avoir une portée plus vaste et plus générale que le contrôle de l'inflation. Un changement complet de monnaie peut être une solution à la forte inflation. «La nouvelle monnaie doit avoir une valeur stable, ce qu'on peut réaliser en l'adossant à des actifs réels et reconnus». De causes à effets D'après les chiffres communiqués par l'INS, le taux d'inflation a atteint 6% début 2013, taux calculé sur la base des biens de consommation, majoritairement composés de produits subventionnés dont les prix évoluent d'une année à l'autre. La hausse du taux d'inflation s'explique par la multiplication des réseaux de contrebande, le déséquilibre entre l'offre et la demande, l'absence de contrôle économique et par l'inflation importée. En outre, selon les indicateurs publiés par l'INS en mars 2013, la tendance des prix à la production a connu en mars 2013 un décrochage par rapport à la tendance des prix à l'importation; ce décrochage est le résultat de l'augmentation des coûts de production en 2012 (dépenses d'énergie, salaires...). Les entreprises tunisiennes ont, dès lors, répercuté cette hausse des coûts de production sur le prix de vente de nombreux produits. Par ailleurs, pour cerner et cibler l'inflation, les économistes pensent qu'il faut prendre en considération la composition et les changements comportementaux des consommateurs. Parallèlement aux mesures prises par les autorités commerciales et sécuritaires en vue de renforcer le contrôle à la fois des prix et aux frontières et afin d'atténuer l'impact de l'inflation sur la société, l'Indice des prix à la consommation (IPC) pourrait inclure un indice de prix pour les ménages pauvres, un indice de prix par région et un indice du panier de la ménagère. «Il est nécessaire également d'imposer la mise en place d'un véritable indice du coût de la vie, qui soit une évaluation du coût moyen des dépenses de consommation des ménages, incluant la variation des quantités consommées». Les mesures de régulation mises en place L'augmentation de la production des produits agricoles sensibles et la garantie de l'approvisionnement du marché à travers la production nationale et l'importation de produits si cela est nécessaire La mise en place d'un programme de formation de stocks d'ajustement au titre de l'année 2013 pour les produits comme les pommes de terre, le lait, les viandes rouges et blanches L'importation de 9.000 têtes de vaches fécondes et la mise en place d'un programme d'encouragement pour les éleveurs Le renforcement des réseaux d'espace de vente «du producteur au consommateur». Une meilleure orientation des subventions de consommation au bénéfice des familles en proposant des emballages spéciaux pour certains produits comme le lait, le sucre, l'huile de soja, les tomates concentrées et les bouteilles de gaz. La fixation de prix plafond de certains produits de consommation (légumes, fruits, viandes, produits ménagers, produits agroalimentaires). Le déplafonnement du taux de rémunération des dépôts à terme Le relèvement du taux minimum de rémunération de l'épargne La révision des mesures prises en octobre 2012 portant sur la rationalisation des crédits à la consommation «Malgré ces mesures, la perception de l'inflation est une vérité et la poursuite des tensions inflationnistes mesurées par l'IPC reste probable pour les prochains mois. Il semble que le problème n'est pas un problème de régulation et de ciblage mais plutôt un problème de mesure : l'IPC semble ne pas refléter la réalité et l'inflation».