Par Néjib OUERGHI Les commanditaires de l'assassinat de Mohamed Brahmi, leader du Courant populaire et membre de l'Assemblée nationale constituante, ont sciemment atteint l'objectif qu'ils recherchaient vainement depuis des lustres. Celui de précipiter le pays dans l'anarchie, d'accentuer les divisions et les dissensions et d'installer la peur et la suspicion. Ils ont réussi à faire croire aux Tunisiens que l'aboutissement de leur combat pour la liberté, la dignité et la démocratie est devenu, aujourd'hui, quasiment impossible. L'imbroglio que vit le pays, le spectre du vide politique et du saut dans l'inconnu qui le guette, en témoignent amplement. Il en est de même pour la vague de démissions à l'Assemblée nationale constituante (ANC) et dans certains partis politiques, de la pression de la rue et de l'exacerbation du malaise et de la colère, des appels à la désobéissance civile pacifique, qui sont autant de signes annonciateurs de nouvelles contractions douloureuses et d'évolutions aux contours imprécis. Aujourd'hui, à tout moment, notre pays, qui croule sous l'effet combiné d'une crise politique, économique et sociale sans précédent, risque de basculer dans une violence aveugle aux conséquences aussi désastreuses qu'imprévisibles. A tout moment, il peut sombrer dans un scénario identique à celui qui avait précipité la descente de l'Algérie, durant presque une décennie, dans l'enfer de la terreur et la peur. A tout moment, enfin, il peut sombrer dans l'anarchie et le chaos. Si le pays a failli vaciller, il y a presque six mois, suite au choc provoqué par le premier assassinat politique, non encore totalement élucidé, de Chokri Belaïd, chef du Parti des patriotes démocrates unifié, l'assassinat de Mohamed Brahmi, avec le même mode opératoire, la même arme et, peut-être, par les mêmes auteurs, met le pays devant une nouvelle réalité complexe, une nouvelle donne politique à plusieurs inconnues. La lente et inexorable descente aux enfers découle d'un constat amer. Le pays n'a ni retenu les leçons de la crise, qui a failli l'ébranler, le 6 février dernier, ni changé totalement de cap en matière de conduite des affaires politiques, sécuritaires, économiques et sociales. L'assassinat de Mohamed Brahmi a été une sorte de révélateur du blocage et du pourrissement de la situation politique, sécuritaire et sociale. Un assassinat qui reflète, surtout, une succession d'échecs dans la conduite des affaires du pays et de l'Etat dans une période de transition longue, peu féconde, riche en rebondissements et ponctuée de graves dissensions nourries par le jeu partisan et idéologique et les considérations purement électoralistes. Plus de deux ans et demi après les élections du 23 octobre 2011, on s'aperçoit, dans une quasi-impuissance, que tout un rêve risque d'être brisé, le processus de transition bloqué et l'avenir du pays suspendu à un interminable marchandage. Face à la nouvelle donne, la construction d'un consensus paraît plus que jamais improbable, dans la mesure où la Tunisie court dangereusement vers l'anarchie, la violence et le terrorisme que les deux gouvernements successifs n'ont réussi ni à juguler, ni à déchiffrer leurs tentacules ? Le profond sentiment de colère et de tristesse qui a gagné les Tunisiens, le jeudi 25 juillet, trouve son sens chez eux dans l'association de cet acte odieux à l'assassinat du rêve républicain et des grands espoirs que la révolution du 14 janvier 2011 a fait naître en eux. Cette frustration se trouve doublée d'une forte déception et de peur de voir le pays s'empêtrer dans une tourmente qui risque de sceller la division des Tunisiens et de compromettre durablement leur sécurité et leurs ambitions. Le doute, la peur et le manque de confiance ne peuvent être définitivement dissipés que lorsqu'on verra à l'œuvre un gouvernement assumer pleinement ses responsabilités envers les Tunisiens. Un gouvernement qui sera capable d'assurer la sécurité des citoyens et, a fortiori, des leaders politiques, abstraction faite de leurs appartenances ou de leurs idées. Un gouvernement qui sera en mesure de restaurer la confiance et d'agir efficacement et sans parti pris dans le sens de l'organisation de la vie politique et de la construction d'une République démocratique et civile. Un gouvernement, enfin, qui sera en mesure d'engager une lutte vigoureuse contre le terrorisme politique qui guette le pays et qui menace son unité et son modèle de société. En vérité, comme l'a dit un penseur, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout. Aujourd'hui, c'est de la capacité des acteurs politiques à trouver le bon chemin, celui qui sortirait le pays du bourbier dans lequel il ne cesse de s'enliser, que l'espoir pourra renaître et que le chaos sera évité.