Par Nejib OUERGHI Le pays a connu une semaine tonitruante, éprouvante, tragique même. La ville de Tunis s'est réveillée, le mercredi 6 février 2013, abruptement sur un assassinat politique. Chokri Belaïd, chef du Parti des patriotes démocrates unifié, a été assassiné, pour le faire taire. L'enfant du peuple, la figure de proue de la gauche tunisienne qui, de tout temps, a défendu toutes les causes justes, a été tué lâchement alors qu'il s'apprêtait à rejoindre son lieu de travail. Un acte odieux — dont l'onde de choc a dépassé les frontières nationales — qui a ému, surpris et attristé tous les Tunisiens. Paradoxalement, loin de les diviser, ce drame les a unis autour d'un projet, d'une cause, d'un idéal. Celui d'une Tunisie démocratique, tolérante, plurielle et pacifique. Un assassinat politique qui pose de nombreuses questions lancinantes, demeurées sans réponses. La première se réfère à la propagation du phénomène de la circulation des armes et de leur utilisation en Tunisie par des activistes et des groupes terroristes qui n'ont pas hésité à semer la peur et la mort dans le pays. La propagation de la violence politique, ensuite, dont des acteurs de la société civile, des défenseurs des droits de l'Homme, des journalistes et des hommes politiques ont été la cible. Tous coupables d'avoir exprimé une voix discordante, libre, différente... La propagation, enfin, des menaces de liquidation physique à l'encontre de personnes qui ne veulent pas se taire et qui osent encore opposer, haut et fort, leur refus à tout retour de l'absolutisme et de la dictature dans le pays. A l'évidence, l'assassinat de Chokri Belaïd place le pays dans un grave virage qui risque de le précipiter dans un cycle de violence qui pourrait hypothéquer durablement sa stabilité, sa sécurité et son unité, ainsi que son modèle de société. Un spectre qui commande à tous vigilance, unité et, surtout, la nécessité impérieuse de diligenter une enquête sérieuse et transparente sur ce crime odieux, ainsi qu'une stratégie efficace pour prémunir le pays, ses habitants et ses hommes politiques contre cette menace aveugle. L'avenir du pays, son unité, la consécration des objectifs de sa révolution en dépendent. Il suffit de prendre conscience et d'agir pour que le pire soit évité et que la division du pays ne soit pas consommée. L'effet de surprise passé, l'assassinat de Chokri Belaïd a laissé entrevoir jeudi une lueur d'espoir, puis une grande controverse sur les voies et moyens susceptibles de chasser le doute et le flou omniprésents. A la faveur de l'initiative du chef du gouvernement, on a eu la vague impression que cet acte gratuit a servi, au moins, une autre bonne cause. Celle qui consiste à trouver, enfin, une porte de sortie honorable à une crise politique aiguë. Une crise qui a été alimentée, sept mois durant, par les mauvais calculs politiques d'une coalition davantage encline à garder le pouvoir et à se positionner dans la course aux portefeuilles ministériels qu'à garantir le processus de transition du pays vers la démocratie, ainsi que la réponse aux appels de détresse venant de régions longtemps oubliées du développement et des catégories sociales défavorisées. L'initiative de M. Jebali pour la constitution d'un gouvernement restreint de technocrates, qui aura pour mission de gérer les affaires courantes du pays, a été vite mise en lambeaux. D'abord, par le mouvement Ennahdha qui a réagi violemment de crainte de voir le pouvoir lui échapper. Ensuite, par le parti du Congrès pour la République, dont certains de ses membres refusent de perdre les portefeuilles qu'ils détiennent pendant que d'autres, constitutionnalistes, ont vite fait de créer une nouvelle controverse juridique. Enfin, par la présidence de la République, qui s'est empressée d'opposer un niet à cette initiative, arguant que l'Assemblée nationale constituante est la seule instance détentrice de tout pouvoir décisionnel légitime. Alors que le pays, du nord au sud, connaît une ébullition annonciatrice de tous les dangers, que la colère ne cesse de gronder partout et que l'inquiétude commence à s'installer, on se retrouve, de nouveau, dans une situation de blocage politique, économique, de crise sociale et sécuritaire. Tout consensus semble, aujourd'hui, improbable. En voyant les principaux protagonistes camper sur leurs positions et refuser tout compromis qui nous épargnerait les pesanteurs de l'attentisme et du flou qui ont longtemps prévalu, le pays risque de faire un saut dans l'inconnu. Il semble que la classe politique n'a pas encore retenu la leçon du drame et de l'épreuve difficile que le pays est en train de connaître. Au lieu d'agir et de placer les intérêts de la Tunisie au-dessus de toute considération partisane ou idéologique, elle préfère manœuvrer et attendre. Il semble également qu'elle n'a pas encore saisi la portée du message de détresse du peuple tunisien qui a hâte de voir les fondements de l'Etat civil et démocratique se renforcer, l'unité et la stabilité du pays préservées et la violence politique et le terrorisme définitivement annihilés.