Ce sont nos émotions qui décideront de l'avenir du pays Même si la coupe est pleine, il lui faut toujours cette goutte de trop pour la faire déborder. Malheureusement, la goutte qui a fait déborder le vase des Tunisiens n'est autre que du sang, celui de Brahmi. Toutes les données étaient pourtant là. Le passé, proche et lointain, témoigne de ce dont on est capable pour avoir le pouvoir et s'y maintenir. Inutile d'énumérer toutes les erreurs, toutes les anomalies, tous les mensonges, toutes les mauvaises décisions. Inutile de faire la chronologie des évènements, de remonter aux premiers procès, aux premières agressions, aux premiers innocents qui sont encore en prison et aux premiers coupables lâchés dans la nature. Le fait est là. Après les élections du 23 octobre 2011, on a vite fait de constater que nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Tant pis pour ceux qui ont vraiment cru, qu'il suffisait de «dégager» Ben Ali pour que le pays s'épanouisse. Tant pis pour ceux qui ont oublié que ces malades qui ont cassé, frappé, lynché et tué, viennent du nid douillet qu'une dictature de 23 ans, complice du grand complot, a soigneusement entretenu, peut-être même à son insu. Tant pis pour ceux qui viennent de découvrir qu'en Tunisie il y a plus de pauvres que de riches, et que « les pauv'gens » se soumettent quand ils ont le ventre plein, mais attaquent quand ils ont faim. Tant pis pour ceux qui n'ont pas voté et dont les voix nous manquent. Tant pis pour ceux qui ne prévoient pas l'orage par beau temps. Il a fallu un mois sacré, une journée sacrée, 14 balles et une hémorragie pour que le verre déborde. Pourquoi ? Parce que l'homme (avec grand H) n'est pas un décideur rationnel. Contrairement à ce que l'on peut croire, ce sont les émotions qui jouent le rôle principal dans la prise de décision. L'émotion est un partenaire fondamental de la cognition humaine et de sa créativité. Les émotions s'imposent à nous et se tournent par la suite vers l'action. Car une émotion serait d'abord une réponse à un évènement, venu interrompre une action en cours, ou contrarier, par exemple, l'accomplissement d'un objectif que l'on juge important. L'assassinat de Chokri Belaïd a provoqué une légitime colère. Cette même colère s'est tournée vers l'action suite à l'attentat perpétré contre Brahmi. Ceux qui ont tué les trois martyrs (Nagdh, Belaïd et Brahmi) ne savent pas qu'en « affectant » en mal les Tunisiens, ils ont aidé leurs émotions à trouver racines. Sinon, d'où vient cette sérénité—qui est un état émotionnel—que l'on peut lire sur le corps des gens qui sont sortis dans les rues, suite à l'affreux évènement ? Si l'on s'amuse à « diagnostiquer » nos états internes d'abord à l'époque de Ben Ali, nous verrons que nous sommes passés, chronologiquement, par les six émotions de base : la surprise, la joie, la tristesse, la peur, le dégoût, et enfin : la colère. C'est donc la colère qui a déclenché la révolution du 14 janvier 2011. Mais il fallait « affecter » et bafouer certaines valeurs (ce qui est important pour nous) pour en arriver là. Quant à la période post-révolutionnaire, dite de transition démocratique, gouvernée par la Troïka, le ressenti est à peu près du même ordre. Nous vous invitons à jouer le jeu et à faire correspondre les émotions aux événements. Vous allez constater, par vous-mêmes, que la petite histoire de nos émotions se répète, et que notre pays va sûrement prendre un tournant positif. La mort de Brahmi serait-elle un signal ? Cela dépendra de l'intensité de la réponse.