Par Foued ALLANI Le déclenchement tant attendu du processus du vrai développement économique et social en Tunisie ne dépend pas uniquement de la résolution de la crise politique aiguë dont souffre actuellement le pays, la énième. Il nécessite un ensemble de réformes en profondeur (pour éviter de dire des révolutions) qui ne doivent pas se limiter à la seule promulgation d'un nouveau Code d'incitation à l'investissement, si complet et si efficace soit-il, à la mise en place d'une nouvelle politique fiscale, à la révision de la compensation dans le sens d'une meilleure efficience, ni encore à la restructuration des banques publiques. Réformes, certes importantes, vitales même, mais qui ne peuvent être conçues ni réalisées avant d'autres encore plus brûlantes et plus décisives. Il est connu que les dictatures possèdent la triste réputation de porter atteinte, en profondeur, à l'identité du peuple qui en est victime et de déclencher et d'approfondir chez lui une véritable crise morale. Se libérer de la dictature sur le plan de la forme ne suffit donc pas. Un sérieux travail de libération des mentalités et de création de la citoyenneté est donc nécessaire et primordial. Sachant que l'abolition d'une dictature ouvre généralement la porte à l'émergence d'une multitude de dictatures plus ou moins grandes, plus ou moins pernicieuses et à tous les niveaux. Chose qui a pour entre autres conséquences de créer une certaine «libanisation» de la société, de saper la notion d'autorité publique nécessaire à toute vie sociale organisée, donc à la production des richesses. Comment donc se lancer dans des réformes sectorielles ou partielles avant même d'avoir conçu un nouveau plan de développement, un nouveau plan économique au sein duquel le plan de consommation sera revisité de fond en comble? (Le modèle de consommation actuel est tout simplement catastrophique). Comment lancer un nouveau code des investissements ou un nouveau système fiscal, alors que notre société souffre de l'effritement, d'un relâchement inquiétant, de méprise de l'ordre, de la discipline, du vivre ensemble, du civisme et d'un déficit d'engagement sérieux pour l'intérêt général, devenu, hélàs, individuel ou partisan, bref de l'hégémonie de l'anti-citoyen? Quels investisseurs vont s'engager à fond, alors que le code de la route a cédé la place, depuis des années et d'une manière inquiétante, depuis ces trois dernières années, à une véritable loi de la jungle? Quelle justice fiscale à envisager alors que la société est minée jusqu'à la moelle par la corruption, les passe-droits et le business très lucratif des coups de pouce mutuels et autres retours illégaux de l'ascenceur? Impossible de résoudre une crise politique quand une société souffre d'une crise identitaire et morale. Impossible pour un pays (qui doute), qui hésite, qui nage dans le pessimisme, les calculs individuels, l'opportunisme, l'arrivisme, le «raccourcisme», l'aventurisme, la mentalité de flibustiers et dans d'autres vices, d'avancer, de produire, d'innover, de s'imposer, de s'épanouir... Impossible à une société de favoriser l'initiative, de devenir réceptrice aux causes communes, donc de pouvoir rapidement se mobiliser, d'avoir une vision à long terme, de donner un sens à ses comportements, bref de devenir maîtresse de son destin, si elle sombre dans une crise identitaire inquiétante. Crise qui se manifeste par la faillite du discours, car à base d'une langue bâtarde qui handicape lourdement la faculté de penser et de raisonner. Impuissance à retrouver les concepts, à les manipuler et à les impliquer dans la production des idées donc dans l'innovation. Crise qui se manifeste aussi à travers ce wahabisme rampant. Ainsi que toutes ces idéologies extrémistes avec ce qu'elles importent (wahabisme et autres idéologies extrémistes) comme comportements excentriques, de valeurs d'exclusion, de nihilisme violent et d'anarchie. Y compris l'idéologie primaire appelée matérialisme sauvage, agressif et violent se résumant dans ce dangereux postulat qui fait que «la fin justifie les moyens» et qui est en train de devenir l'idéologie «officielle» de notre société. Crise qui se manifeste aussi, sur le plan moral, par tout cet argent sale qui infecte tous les domaines, surtout les plus sensibles et les plus influents et qui alimente toutes les forces qui complotent contre les intérêts du peuple tunisien et à leur tête les parrains de la mafia de l'ancien régime. Criminels qui essayent de se faire oublier pour mieux conspirer tout en payant au prix fort certains mercenaires, hélas nombreux, pour faire reluire leur image, dans l'attente de l'acquisition d'une nouvelle virginité. Que de problèmes à résoudre donc après l'évanouissement des nuages de la présente crise politique et économique.