Ennahdha multiplie les interlocuteurs. Son discours reste toujours confus. La grande conférence de presse tenue hier, par Ennahdha, en vue d'expliciter ses positions définitives quant à la feuille de route présentée par le Quartet parrainant le dialogue national, a été marquée par l'absence de Rached Ghannouchi, président du mouvement, et l'apparition d'un trio qui parlait pour la première fois ensemble: Abdelhamid Jelassi, vice-président et coordinateur général du parti, Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif, et Rafik Abdessalem, membre du conseil de la Choura d'Ennahdha. Beaucoup d'observateurs et analystes se sont posé les deux questions suivantes : Rached Ghannouchi s'est-il absenté de lui-même, ou a-t-il été empêché d'assister ou de diriger la conférence de presse tant attendue par l'opinion publique nationale et internationale? La présence de trois responsables de second plan (en comparaison avec les ténors qui occupent la scène médiatique depuis l'amorce de la crise politique) traduit-elle la mise en place d'une nouvelle stratégie de communication au sein d'Ennahdha censée proposer à l'opinion publique plusieurs discours révélant la diversité existant dans le parti ou la division entre ceux appelés les faucons et ceux désignés comme étant les colombes? Trois stratégies d'action A cette question, Khalil Zammiti, sociologue, répond en soulignant : «Cette stratégie de communication n'est pas aussi nouvelle qu'on a tendance à le penser. Elle fait bien partie des manœuvres à laquelle recourt tout parti se trouvant dans une situation délicate. Je pense qu'Ennahdha veut montrer qu'il y a une dynamique plurielle dans ses rangs. Pour le mouvement, les faucons traditionnels du parti se taisent ou se font rares dans les médias dans le but de voir si cette nouvelle stratégie de communication va être productive ou qu'elle va échouer». Zammiti dissèque, d'autre part, les stratégies d'action d'avenir: «D'abord, souligne-t-il, Ennahdha mise sur la victoire lors des prochaines élections en comptant sur ses propres forces et sur l'expérience acquise du fait de l'exercice du pouvoir depuis les élections du 23 octobre 2011. Ensuite, établir une alliance avec les partis politiques qui montent, dont en premier lieu Nida Tounès, mais à condition de ne pas rendre de comptes à propos des erreurs et des abus commis par ses responsables depuis leur accession au pouvoir. Enfin, la dernière stratégie consiste à s'allier aux salafistes et à Ansar Echaria et, là, c'est le dernier recours qui reste permis à Ennahdha». L'ANC décide de tout Pour Salah Zghidi, militant actif de la société civile et vieux combattant des droits de l'Homme, «il est clair qu'Ennahdha s'impose aujourd'hui comme le champion en matière de perte de temps. Il use et abuse du temps et c'est de bonne guerre. On ne peut pas reprocher à un parti au pouvoir de tout faire pour y rester. Malheureusement, en faisant monter aux premières loges médiatiques des responsables de second rang, il fait fi des attentes de l'opinion publique parce que les gens s'attendaient à voir Ghannouchi mettre les points sur les i définitivement». Notre source poursuit : «Il est déplorable également d'observer que l'opposition a, par sa division et ses atermoiements, aidé Ennahdha dans ses manœuvres et ses volte-faces. Faut-il rappeler, à cet effet, que l'opposition a perdu cinq semaines en palabres inutiles pour se rendre compte qu'il est improductif de continuer à réclamer la dissolution de l'ANC. Aujourd'hui et au moment où l'opposition a décidé d'accepter l'initiative du Quartet parrain du dialogue national, dans son ensemble, voilà qu'Ennahdha imagine tous les stratagèmes possibles pour gagner encore du temps et se maintenir davantage au pouvoir. Seulement, aussi intelligents ou manœuvriers qu'ils sont, les gens oublient une chose importante. En acceptant le départ de Ali Laârayedh et de son équipe ministérielle, ils perdent le gouvernement mais ils ne perdent pas le pouvoir. L'ANC, où tout se décidera, demeure toujours entre leurs mains. Il me semble que leurs stratèges en matière de communication n'ont pas saisi cette donne». Un mauvais signe de l'unité du mouvement Le Pr Alaya Allani, expert dans les affaires stratégiques et en islamisme, est convaincu que la présence de trois interlocuteurs parlant au nom d'Ennahdha constitue «un mauvais signe de l'unité du parti. C'est un indicateur sur le début de l'implosion qui est désormais inévitable. D'ailleurs, il paraît que le courant ne passe plus entre Ghannouchi et Ali Laârayedh». Quant à l'absence de Ghannouchi, le Pr Allani précise : «Il y a deux raisons qui l'expliquent. D'abord, Ghannouchi n'a pas encore réussi à convaincre les faucons qui représentent les deux tiers au sein du gouvernement et du parti. Ensuite, il paraît que le marché qui est en train de se conclure dans les coulisses n'a pas encore abouti dans la mesure où Ennahdha n'a pas encore obtenu de garanties sérieuses selon lesquelles ses responsables ne seront pas poursuivis une fois qu'ils auraient quitté le pouvoir». «Le nœud central de la crise concerne les nominations qui ont dépassé les 2500. Ennahdha est presque sûr qu'il perdra les élections au cas où elles se dérouleraient dans le contexte actuel. C'est la raison pour laquelle, il veut gagner du temps dans l'espoir de voir les conditions, internationales changer en sa faveur», conclut-il.