Hier bien structurés et redoutablement efficaces, ces services ont beaucoup perdu de leur aura. A quand la fin de leur traversée du désert ? D'aucuns s'accordent à dire que l'appareil sécuritaire du pays n'est plus le même. Bien évidemment, on peut invoquer les retombés de la révolution, la terrible «explosion intégriste», la déstabilisation de départements dépendant de la sécurité, la poussée naissante du pluralisme syndical au sein du ministère de l'Intérieur. Tout cela est vrai. Mais ce qui l'est encore plus c'est sans doute cette facilité, presque déconcertante, avec laquelle on a laissé couler, au milieu de la mêlée, un service aussi important et vital que celui des renseignements. C'est d'autant plus impardonnable que, dans le contexte difficile que connaît le pays, et face aux menaces de plus en plus sérieuses, ce service aurait dû obligatoirement être épargné pour conserver intacts son rayonnement et sa compétitivité. Que de revers ! Effectivement, le constat est amer : depuis le 11 janvier 2011 et jusqu'à nos jours, nos renseignements ne comptent plus les revers dont les plus «honteux» sont : 1 - Les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Deux patriotes abattus froidement, en plein jour et dans des zones d'habitation SVP, par des terroristes. 2 - L'infiltration non-stop en Tunisie de jihadistes tant tunisiens qu'étrangers. 3 - La prolifération de la circulation des armes 4 - L'incapacité chronique d'arrêter le «number one» d'Ansar Echaria, Abou Iyadh. 5 - La mauvaise exploitation de données émanant des services de renseignements algériens et occidentaux. 6 - L'énigme de la bataille de Jebel Chaâmbi qui s'éternise. 7- De nombreux jihadistes dangereux courent encore. Autant d'échecs cuisants qui ont sûrement de quoi jeter le discrédit sur nos services de renseignements. Pour un policier averti, «ce constat est d'autant plus inquiétant qu'un pays sans renseignements forts et efficaces ne peut qu'accumuler les déconvenues et c'est encore pire si ce pays s'est vautré dans la spirale de l'insécurité». Pour un autre cadre policier qui a préféré garder l'anonymat, «il est maintenant établi que ces services sont malades, voire cliniquement morts sous les effets désastreux du traumatisme de l'échec». Et d'expliquer : «Il est désespérément naïf de croire que nos renseignements n'y peuvent rien. Pour moi, être incapable d'exploiter une fuite ou de ne pas mettre à profit une si précieuse indication envoyée par la CIA relève tout simplement de l'incompétence et ne peut que laisser la voie ouverte aux dérives». Aujourd'hui, justement, on ne sait presque plus qui fait quoi dans ce vaste pavillon des renseignements sis au ministère de l'Intérieur. Des personnes s'en vont. D'autres s'amènent, mais rien n'y fit. Et cela pour au moins trois raisons, à savoir : – Primo : les compétences, les valeurs sûres de la spécialité, ne sont hélas plus là. Soit parce qu'on les a abusivement mises à la porte (n'est-ce pas M. Farhat Rajhi ?), soit parce qu'on n'a pas osé faire appel à leurs semblables. Et dans les deux cas de figure, cela fait un inépongeable manque à gagner. – Secundo : nos services de renseignements souffrent d'un manque alarmant de coordination et de synchronisation avec les autres services dépendant de la direction des services spéciaux et de la direction de la police judiciaire. – Tertio : la persistance des phénomènes de l'interventionnisme et des «ordres» qui a eu pour effet de mettre l'huile sur le feu dans un département qui fonctionne déjà à deux à l'heure. Besoin de relooking Paradoxalement, on n'a pas arrêté de nous dire, à coups de discours tapageurs, que la situation s'améliore, qu'on fait de son mieux pour aller de l'avant, qu'il n'existe pas de police parallèle, que la fameuse histoire de la lettre de la CIA concernant l'imminence de l'assassinat de Mohamed Brahmi n'a rien de grave... Or, au lieu de s'entêter à essayer de nous faire avaler ces grosses couleuvres, il aurait être plus sage d'avouer son échec. Et cela en tentant de remettre de l'ordre dans le département des renseignements qui a plus que jamais besoin d'une opération de relooking, celle-là même qui consiste à le doter de moyens de fonctionnement autrement plus solides et performants, tant au niveau de l'effectif humain qu'à celui des équipements, tout en assurant un suivi de tous les instants aux données et informations recueillies. Et puis, on ne perdrait rien à refaire appel à la vielle garde de la sûreté national qui faisait, avant la révolution, les beaux jours de ces services, sachant que, dans un pays comme le nôtre qui s'enfonce dans le chaos et qui a affaire à Al Qaïda, tous les sacrifices deviennent endurables. Exemple : aux Etats-Unis, Bush Junior a dû, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, recourir aux ex-poids lourds des renseignements qui ont fait leurs preuves au temps de son prédécesseur Bill Clinton. Et pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître, la sécurité nationale du pays en est sortie grand vainqueur. Le «bon vieux temps» des renseignements Tout cela nous conduit inévitablement à faire machine arrière pour remémorer le «bon vieux temps» des renseignements tunisiens. Ceux-ci constituaient réellement l'épine dorsale du ministère de l'Intérieur et sa principale force de frappe. Au temps de leur splendeur entre 1988 et 2009, ils accomplissaient un travail de sape extraordinaire, non seulement dans le domaine de «l'insécurité coutumière» (banditisme, violences et toutes sortes de trafics...), mais aussi et surtout en matière de lutte contre le terrorisme. Au point que ce dernier qui sévissait, à l'époque, à nos frontières avec l'Algérie n'a jamais pu s'infiltrer dans notre pays. Un «sans-faute» en pleine guerre civile algérienne qui a fait 200.000 tués, il fallait le faire ! C'est que nos services de renseignements d'antan, loin d'avoir une baguette magique, étaient plutôt solidement structurés, hermétiquement fermés. Ils avaient cette étonnante faculté d'anticiper qui leur permettait d'étouffer dans l'œuf toute action ennemie en préparation. Quitte à aller arrêter le suspect chez lui à... l'étranger, comme cela s'est passé en Italie, en Espagne et surtout en France, car ils avaient cet art de remonter les pistes par un travail de recoupement et de suivi où s'impliquaient agents compétents et indicateurs entreprenants. A telle enseigne qu'ils avaient même pu, entre 1990 et 1997, filtrer des réseaux d'Al Qaïda à l'étranger, en y plaçant des taupes. Et cela avait marché, à la faveur des relations privilégiées qu'entretenaient nos services de renseignements avec leurs homologues français (Dgse, Uclat, DST), anglais (MI 15), algériens, marocains, libyens égyptiens et saoudiens. A l'époque aussi, le célèbre patron de la CIA, Georges Tennet, voyageait fréquemment en Tunisie, alors que nos taupes prenaient part régulièrement aux colloques, stages et séminaires internationaux qui se tenaient un peu partout dans le monde sous le thème du terrorisme. Bref, que nous reste-t-il aujourd'hui de ces acquis précieux ? Rien, ou des miettes... à la grande joie de la nébuleuse intégriste !