Les militants de la société civile se préparent déjà à rejeter l'Isie qui sortira du débat national Comment mettre en place l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) dans les délais impartis par la feuille de route du Quartet parrain du dialogue national (une semaine) tout en respectant, à la lettre, la décision rendue par le Tribunal administratif dernièrement, considérant comme nulle l'action entreprise par la commission parlementaire de sélection des candidats à la prochaine Isie (ayant atteint sa dernière étape de constitution avant que Mustapha Ben Jaâfar ne décide la suspension des travaux de la Constituante) ? Cette problématique s'est invitée, hier, avec insistance, lors des premières discussions entamées par les participants au dialogue national. Maya Jeribi, secrétaire général d'Al Joumhouri, a, en effet, révélé aux médias qu'il est urgent de trouver une sortie juridique à cet imbroglio et «les participants au dialogue national vont s'y mettre afin de parvenir à concevoir une issue qui aura l'aval de tout le monde». La déclaration de Maya Jeribi a le mérite de contenir la volonté de vouloir surmonter une crise que la feuille de route du Quartet n'a pas prévue puisque la décision du Tribunal administratif a été rendue alors que la feuille de route était déjà prête. Nous nous mobiliserons contre tout abus Reste à savoir si le compromis auquel les participants au dialogue national pourrait parvenir va satisfaire les organisations spécialisées en matière d'observation des élections (Ofiya, Atide, Mouraquiboune, associations des électrices tunisiennes) ou susciter leur mécontentement. Qu'en pensent également les spécialistes en matière de droit ? En plus clair, est-il possible, juridiquement, de contourner une décision rendue par le Tribunal administratif ? Pour le Dr Kamel Gharbi, président du réseau Ofiya pour l'observation de l'intégrité des élections, «tout arrangement en dehors de l'application de la décision du Tribunal administratif est inacceptable. Nous voulons construire un Etat de droit et il est impératif d'obéir aux décisions du Tribunal administratif, reprendre le travail au niveau de la commission de sélection des candidats et prendre le temps qu'il faut». Le président d'Ofiya ajoute : «Le risque des arrangements politiques est réel, ce qui va nous faire tomber dans le problème de la politisation de l'Isie. En tout état de cause, les participants au dialogue national ne pourront pas contourner la petite constitution et la loi organique portant création de l'Isie. La société civile reste vigilante et au cas où les partis politiques forceraient le pas et imposeraient une issue à caractère politique, les associations spécialisées protesteront ensemble. D'ailleurs, Atide, Mouraquiboune, Ofiya, Jeunes sans frontières, la Ligue des électrices tunisiennes et l'Association tunisienne du droit constitutionnel tiennent, vendredi prochain, une réunion pour prendre une position commune sur cette épineuse question. Et dans tous les cas, nous ne resterons pas les bras croisés». Le devoir d'obéir au Tribunal administratif L'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (Atide), qui est à l'origine du jugement rendu par le tribunal administratif, se distingue par une proposition selon laquelle il est possible de réactiver l'ancienne Isie présidée par Kamel Jendoubi dans l'attente de la mise sur pied de la nouvelle Isie. «Nous avons rencontré Houcine Abassi, S.G. de l'Ugtt, et Mohamed El Fadhel Mahfoudhi, bâtonnier de l'Ordre des avocats, qui ont apprécié notre proposition et ont promis de l'examiner. Toutefois, nous sommes pour l'exécution du verdict du Tribunal administratif car il est inadmissible que le pouvoir législatif (ANC) décide de contourner une décision émise par le pouvoir judiciaire et de passer outre pour des considérations politiques», précise Moëz Bouraoui, président de l'Atide. «Dans les déclarations de certains participants au dialogue national, nous sentons qu'il y a une opération anti-éthique qui est en train de se préparer et nous nous y opposons vigoureusement. Nous voudrions attirer l'attention de ceux qui se prêtent à ce jeu que la décision du Tribunal administratif a été rendue en référé et que le jugement définitif pourrait intervenir dans deux ans ou plus, ce qui pourrait pousser à l'annulation des résultats des élections prévues pour 2014. L'Atide a déjà pris le devant et a programmé un séminaire pour samedi prochain avec la participation de plusieurs experts en droit constitutionnel et de membres de l'ANC en vue de discuter ensemble, cette épineuse question», conclut Moëz Bouraoui. Non à la régularisation législative Jawher Ben M'barek, professeur de droit public, estime qu'il n'y a «aucune possibilité à caractère juridique pour sortir de cet imbroglio et parvenir au consensus dont parlent les politiques». «Sauf, ajoute-t-il, qu'il y a une idée juridique qui commence à circuler et à séduire certains politiciens conseillés par certains juristes. Il s'agit de l'idée de la régularisation législative qui consiste à adopter un texte de loi par la loi qui prévoit la régularisation des procédures adoptées par la commission parlementaire de tri des candidats à l'Isie. En clair, l'ANC adoptera une loi qui aura pour effet d'anéantir une décision de justice. Ainsi, l'ANC va régulariser — au cas où elle choisirait ce principe — ses propres irrégularités». Jawher Ben M'barek tient à préciser que cette pratique est exercée en France mais dans le sens contraire. «En France, ils régularisent un acte administratif (donc provenant du pouvoir exécutif) par un acte législatif», fait-il remarquer. Ainsi, la bataille ne fait que commencer. Une bataille à laquelle les concepteurs de la feuille de route n'ont pas pensé et face à laquelle les politiques se trouvent dans l'obligation de s'adonner à des acrobaties qu'ils essayent déjà de faire passer pour des consensus.